JEAN-LUC MELENCHON OU L’ÉVAPORATION MÉDIATIQUE DE L'HOMME POLITIQUE PAR L'HOLOGRAMME

Par
Yasmina Jaafar
3 février 2017

Jean-Luc Mélenchon sera... Son hologramme sera dimanche en meeting à Paris. Alors que Lui, le vrai JL Mélenchon, sera à Lyon dans une salle de 7000 personnes. Le philosophe des médias, Bertrand Naivin, explore pour laruchemedia.com les dangers du Tout-Image, de l'envie frénétique de taper aux portes de la "modernité numérique".

Par Bertrand Naivin, Philosophe des médias

Si les médias désignent l’ensemble des procédés « permettant la distribution, la diffusion ou la communication d'œuvres, de documents, ou de messages sonores ou audiovisuels » (www.larousse.fr), on comprend la raison pour laquelle l’homme politique vit très vite que ce que Frédéric Lordon nomme quant à lui la « méta-machine affectante des médias » (Les affects de la politique, Paris, Seuil, 2016, p. 61) lui était indispensable et qu’il se devait de s’y adapter. Mais en s’en servant, il en devint  vite le serviteur. Et ces médias firent alors de l’auguste Homme d’État un « invité » du « petit » écran. Le discours « auratique » se fit intervention cathodique sous la forme de la conversation non protocolaire (de Guy Mollet à François Fillon) aux récents débats pour les primaires pour la campagne présidentielle minutés par un buzzer et scénographiés comme un jeu télévisé de début de soirée.

En l’enfermant dans une boîte, la télé réduisit dès lors sa stature. Et s’il pouvait désormais s’inviter dans le foyer de tous les Français, il allait aussi pour cela devoir se normaliser pour mieux leur permettre de s’identifier à lui. Et l’on sait quelles conséquences cette tradition du « président normal » put avoir, des bières mexicaines de Chirac aux escapades nocturnes en scooter de Hollande.

Aujourd’hui, c’est au tour du smartphone de rendre toujours plus inoffensifs ceux que l’on a désormais du mal à appeler des « responsables » politiques. Toujours plus petits derrière l’écran de notre mobile, ils se savent aujourd’hui d’autant plus à notre merci que c’est maintenant avec notre seul doigt que nous pouvons arrêter ou avancer leur parole qui si elle pouvait galvaniser autrefois les foules est devenue suspecte, décrédibilisée par des promesses non tenues et une presse à l’affût de la petite phrase qu’ils s’empressent tout de suite de décortiquer et de commenter, et rendue incompréhensible par une rhétorique savante et abstraite.

Dès lors, et ce qui est révélateur, le discours politique est complété par ces tweets dans lesquels les politiciens s’expriment avec plus de spontanéité et de naturel. De même Jean-Luc Mélenchon choisit-il de se dédoubler grâce à un hologramme, proposant ainsi le premier meeting holographique de l’histoire politique. Là encore il veut montrer sa modernité et se rapprocher de la culture numérique de son électorat. Oui mais. En dématérialisant son corps et sa parole, l’homme politique 2.0 risque l’évaporation. En ces temps de réchauffement climatique où les grands glaciers fondent et les dinosaures de la politique se font remercier sans ménagement ni formalités, l’homme politique, s’il était déjà liquide (cf La vie liquide de Zygmunt Bauman, essai publié en France en 2006 aux éditions « Le Rouergue/Chambon)) par cette parole sans crédit et l’obsolescence programmée de ses mandats présidentiels ou ministériels perd chaque jour toujours plus de volume, de consistance et de substance.

Télévisé, numérisé, partagé, commenté, tweeté et liké, l’homme politique n’est plus qu’une image, qu’un leurre auquel on sait qu’il ne faut plus croire. À trop jouer avec ces médias, à trop tenter de devenir le plus médiatique et « médiatisable » possible, il peine aujourd’hui à demeurer visible et audible dans une « tech-sistence » où meurt celui qui se tait et où règne la frénésie du « tout-dernier » post. Les journaux essaient alors encore de rendre capital et captivant le débat des deux « finalistes » - là encore une référence à un programme de divertissement ou à un tournoi sportif, autre grande passion médiatique – dont on annonce pourtant l’échec certain aux prochaines élections présidentielles.

Alors Jean-Luc Mélenchon a du flair de s’holographier. Il a en effet bien senti ce qu’est le personnage politique aujourd’hui. À l’instar de ces chanteurs et chanteuses défunts qui reviennent à la vie sous forme holographique et remplissent des stades d’un public bien vivant et médusé de voir « en vrai » ces grands noms de la chanson disparus, ces représentants des heures de gloire de la variété (Claude François, Dalida et Mike Brant au Palais des Congrès de Paris du 12 février au 26 février 2017), de même le politicien est-il cet autre représentant d’un âge d’or de la politique. Alors on se réfère à Jaurès ou De Gaulle, mais sans parvenir à faire oublier le constat d’une ambroisie politicienne qui s’évapore irrémédiablement et dont on se demande chaque fois toujours plus si elle vaut encore la peine d’être bue.

Aujourd’hui le personnage politique est jugé sur sa sympathie (cf le récent sondage publié par le journal Le Monde daté du 20 janvier concernant les participants au débat pour « La Belle Alliance »…) et High-tech. Ite Missa Est.

Bertrand Naivin

Philosophe des médias et de la vie connectée
Enseigne à l’université Paris 8
Chercheur associé au laboratoire AIAC
Auteur de Selfie, un nouveau regard photographique (préface de Serge Tisseron), Paris, L’Harmattan, coll. Eidos, série Photographie, 2016

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