LES BLEUS DANS LES CIEUX... ET UN PRÉSIDENT SOUS LA PLUIE

Par
Yasmina Jaafar
18 juillet 2018

Champions du Monde sous la pluie. Pauline Escande-Gauquié, membre du Club de La Ruche Média - sémiologue et Francis Yaiche Professeur à la Sorbonne analysent la remise de la coupe du monde aux Bleus sous la pluie et l' "indélicatesse" poutinienne quant à l'absence de parapluie au-dessus d'Emmanuel Macron et Kolinda Grabar-Kitarović.

par Pauline Escande-Gauquié et Francis Yaiche

Y-aurait-il une « malédiction Hollande » ? On s’en souvient, à chaque cérémonie importante où François Hollande était présent, il pleuvait des cordes sur le pauvre Président ! Dimanche soir à Moscou, le sacre des Bleus a eu lieu dans un décor digne d’une comédie musicale hollywoodienne. Un déluge s’est soudainement abattu sur le stade Loujniki avant la remise de la plus belle des récompenses, la Coupe du Monde de football, trempant, les joueurs, le président de la FFF, Noël Le Graët, les présidents Vladimir Poutine, Emmanuel Macron, et la présidente Kolinda Grabar-Kitarović, sans oublier bien sûr, la ligne impeccable et immobile des « pom-pom girls » russes, restées derrière, stoïques de bout en bout, sourire inoxydable, au look vintage, vaguement soviétique : tailleur strict aubergine et petit chapeau.

Non, aucune malédiction dans ce déluge ! Bien au contraire, car chacun semblait heureux, heureux de ruisseler de pluie, (Ah, le thème du « ruissellement » macronien !) comme si la pluie était elle-même un élixir de bonheur qui lave de toutes les souffrances, à l’image de ces lauréats nouvellement diplômés d’universités américaines qui se jettent tout habillés dans la piscine.

Mais la sémiotique se doit d’interpréter un signe comme cette pluie diluvienne. En premier lieu, que le Ciel soit tombé sur la tête des Gaulois, rien de plus « naturel ». Depuis le début de la compétition ils étaient bénis des dieux, une eau bénite, évidemment. D’ailleurs, les Dieux avaient sagement attendus la fin du match pour se manifester et faire pleuvoir leurs larmes d’émotion. Et il était important de refroidir le fer chaud des ardeurs combattantes. Cela permit aux Tricolores (qu’on appelle « Les Bleus », sans se souvenir apparemment que « des bleus » signifie aussi « des débutants », des « non-affranchis », des « moins que rien ») de passer à un autre sport, celui de la plus longue glissade sur pelouse détrempée. Un souvenir impérissable.

En second lieu, et les citoyens Russes ont forcément compris le signe céleste adressé à Poutine. Cette pluie signifiait « La Pluie » (« Dojd »), nom d’une chaîne de télévision russe, indépendante, créée en avril 2010, première chaîne de télévision d'opposition qui a fait éclater au grand jour différents scandales politiques, a adopté une attitude très critique vis à vis du pouvoir au point d’être interdite. Elle se rappelait à son bon souvenir en s’invitant ainsi métaphoriquement.

Enfin, pied-de-nez et retour de l’Histoire de France : on se souviendra peut-être que le Maréchal Mac-Mahon, Président de la République française de 1873 à 1879 (un peu plus d’un quinquennat quand même !), général vainqueur de la seconde guerre de Crimée (eh oui, la Crimée, Monsieur Poutine !), rendu célèbre par le fameux « J’y suis, j’y reste » (à Sébastopol assiégé ! Décidément ! ), revenu en France sous les acclamations et comblé d’honneurs (ça nous rappelle quelque chose !), se rendit définitivement célèbre en visitant des villes dévastées par une crue de la Garonne et par ce constat laconique et définitif « Que d'eau… Que d'eau !… » ; ce à quoi, le Préfet de l’époque lui avait rétorqué : « Et encore, Monsieur le Président, vous n'en voyez que le dessus… ! »

Et si nous pouvions voir les « dessous », que verrions-nous au juste ?

« Que d'eau… Que d'eau !… ».  Très vite donc, les maillots, les costumes, les brushings, les “décollements de racine”, les “coupes” (!) de cheveux élaborées artistiquement par les coiffeurs des champions (et de Poutine, de Macron et de Madame Kolinda Grabar-Kitarović), furent « rincés », réduites à néant, donnant au tableau un côté comique, iconoclaste, joyeux, comme ces populations qui attendent avec ferveur la pluie depuis des mois et la célèbrent comme un don du ciel soudain, inespéré, qui les « délivre » enfin.

Sauf que, très vite, on apporta un grand parapluie pour protéger “Vladimir”. Et l’on vit alors, la Présidente croate et Emmanuel Macron, deux présidents, pourtant hôtes de la Russie, continuer à être copieusement arrosés par des trombes d’eau, continué surtout, comme des gamins joyeux et « chantant sous la pluie », à étreindre avec la même patience et bienveillance chaque joueur qui défilait devant eux. Manifestement il ne vint pas à l’esprit de Poutine, de faire montre de la plus élémentaire politesse et galanterie, d’ordonner qu’on abritât, du seul parapluie disponible, plutôt ses hôtes que son auguste personne. Manque d’éducation et d’attention aux autres, goujaterie, esprit de supériorité ?

Comment les services météo n’avaient-ils pas prévu cette formidable « rincée » ? Pourquoi ne pas avoir protégé la cérémonie par un auvent ou une toile de tente ? Tout cela était choquant, peut-être est-ce l’emblématique métaphore situationnelle de la conception conception du Maître du Kremlin des relations internationales ?

Il y avait dans l’imaginaire collectif associées à la joie sous la pluie, les claquettes du clown acrobate Gene Kelly chantant « I’m singin’in the rain ». Il y aura dorénavant la désormais mythique et édifiante attitude de ce « couple » présidentiel, trempé, souriant et uni, Macron et Grabat-Kitarović face à des joueurs attendant la remise du Graal.

De cet évènement, on retiendra avant tout l’image de nos Bleus soulevant le prestigieux trophée sous une pluie battante, le capitaine et « gardien », Hugo Lloris, brandissant la coupe, entouré de ses co-équipiers fous de bonheur : M’Bappe, Pogba, Griezmann, Giroud, Kanté, et les autres, tous accrochés en une grappe joyeuse. Un chantons sous la pluie revisité pour une nouvelle conception du management : le tout-collectif. Car c’est bien des flots de joie qui s’offraient à nous sur ces visages ruisselants et enivrés.

« Si l'homme des cavernes avait su rire, le cours de l'histoire eût été changé», disait Oscar Wilde. Apparemment Poutine n’a pas su sourire, et même s’il lui en coûte, le cours de l’histoire ne sera pas changé, les Français sont et resteront dans l’histoire du foot, les champions de la Coupe du Monde 2018 sur les terres de Russie.

Alors, merci à eux, merci à tous ceux qui ont “mouillé le maillot”, car le spectacle de la calvitie naissante de Didier Deschamps et de joueurs sublimés et sublimes, constellés d’étiquettes jaunes comme des étoiles, post-it amoureux tombés du Ciel (encore des messages!?), fut un moment jubilatoire et mémorable.

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