COVID-19 : LES DIVERGENCES DES ÉTATS PEUVENT-ELLES RETARDER L'APPARITION DU VACCIN ? LA RECHERCHE AVANCE-T-ELLE VRAIMENT ? QUE VEUT DIRE "VIRUS SOUS CONTRÔLE" ?... RÉPONSE DU Pr IMAD KANSAU, SPÉCIALISTE EN MALADIES INFECTIEUSES. Par Yasmina Jaafar

Par
Yasmina Jaafar
21 avril 2020

Chaque jour qui passe, des infos nouvelles arrivent sur cette contagiosité et sur les symptômes. Vous êtes spécialiste des maladies infectieuses, pensez-vous que nous avancions ou faisons-nous du sur place ou sommes-nous en recul ?

Je pense que même si nous avons l'impression de faire du sur place, nous avançons sûrement dans les connaissances au sujet de cette infection virale. Cela ne fait guère que deux mois que nous sommes confrontés à cette pandémie qui s’avère très différente de celles que nous avions dans notre stock de connaissances au sujet des infections transmissibles. Il ne faut pas oublier que la recherche, quel que soit le domaine, est une affaire de temps et d'investissement humain et matériel. Les leçons que nous avons pu tirer en si peu de temps du COVID-19 concernent principalement la contagiosité, les différentes manifestations cliniques, le diagnostic et les manières de ralentir l’épidémie. Ce sont des données qui peuvent être recueillies dans des périodes courtes. Malheureusement, tout ce qui concerne les mécanismes de pathogénicité du virus, les traitements et les vaccins nécessite un plus grand investissement dans le temps. Cela est difficile à comprendre dans l’urgence actuelle, et c’est normal, mais il faut savoir que l'utilisation précipitée de données empiriques peut se révéler dangereuse et fatale. Il faut accepter la réalité et le fait qu'il faudra des mois pour avoir davantage de données en la matière. Je n'ai aucun doute que les mois qui viennent nous apporteront beaucoup de lumières sur cette infection virale et sur la manière de la contrôler.

Les États européens et mondiaux ne semblent pas très unis. Le monde scientifique l'est-il davantage ?

Sans vouloir justifier les États européens, cette épidémie nous a pris tellement de court que la première réaction humaine a été de tenter de garder pour soi tous les moyens de la contrôler. C'était la sécurité nationale d'abord.

Le monde scientifique en revanche s’est montré certainement plus uni ! Les scientifiques n’attendent pas forcément les politiques pour avancer dans leurs recherches, même si des financements peuvent venir des Etats. Ils n'ont pas de frontières non plus. Mais ne soyons pas naïfs, le monde scientifique est un monde concurrentiel aussi avec des compétitions entre les équipes de recherche à l’échelle mondiale, notamment dans la course aux publications scientifiques. Mais compte tenu de la situation inhabituelle et de l'ouverture de fonds mondiaux pour la recherche sur le COVID-19, le monde scientifique a vite dépassé cette rivalité et s’est mis à l’œuvre dans le partage des connaissances. C’est ainsi que des équipes médicales et scientifiques se sont mises à partager leurs expériences très rapidement, que les revues scientifiques ont accepté de publier rapidement les résultats des recherches et ont même donné un accès gratuit aux publications.

Un désaccord peut-il retarder l’apparition d'un vaccin ?

Non, pas vraiment. Pour une équipe de recherche ou un groupe de développement donné, dès lors qu’un composant du virus est capable de déclencher une réponse immunitaire, il deviendra un candidat vaccin intéressant à développer rapidement, surtout dans des situations épidémiques. Dans l’urgence actuelle les désaccords ont donc peu de place. Par ailleurs, il ne faut pas négliger que les laboratoires sont très conscients de l’enjeu financier également. Le retard viendrait plutôt des aléas qui pourront apparaître au cours des premiers tests, à savoir des réactions indésirables ou non attendues, une efficacité moins importante que celle attendue, un coût de production trop élevé…

Il est important de maîtriser le virus, mais à quel point l'État doit-il maîtriser le déconfinement ? N'est-ce pas tout aussi important ? Un mariage obligatoire...

Il est tout aussi important de maîtriser le déconfinement que de maîtriser le virus et ce d’autant plus que nous ne disposons pas d’un traitement efficace ni d’un vaccin. Et l’État doit faire de son mieux pour maîtriser la sortie progressive du confinement. Nous allons tirer les leçons des méthodes de déconfinement qui auront été appliquées avant nous dans d'autres pays. Nous avons malgré tout la chance de voir ce qui aura marché ailleurs et ce qu’il faudra mettre ne place en l’adaptant à notre société et à notre mode de vie. Mais j’ajouterai que c’est l’affaire de tous, de l’État comme des citoyens.

Les gouvernants utilisent souvent l'expression :  "sous contrôle". Pouvons-nous vraiment mettre "sous contrôle" un virus si surprenant ?

Je pense que cette expression est utilisée pour parler de l’état de l’épidémie (afflux des patients aux hôpitaux et en services de réanimation), mais aucunement pour parler du virus qui n'est pas contrôlé du tout ! Les seuls moyens de contrôler ce virus et d'interrompre sa transmission inter humaine sont de l'anéantir avec un traitement efficace et d'empêcher qu'il infecte les personnes susceptibles au travers d'un vaccin ou de l'immunité collective. Malheureusement, nous ne disposons d'aucun de ces moyens à ce jour.

Isoler les malades dès le 11 mai est-ce la bonne solution ?

Oui, absolument, isoler les malades et les personnes infectées asymptomatiques (non malades) également. Cela a montré son efficacité dans d’autres pays, et même en France lors du rapatriement de ressortissants français de Chine et de la découverte de certains « clusters » comme celui des Contamines-Montjoie.

Pourquoi l'État français hésite-t-il encore à choisir cette option ?

J’ai l’impression qu’il s’agit du problème de l’offre et de la demande, et du coût. Je m’explique. L’État n’hésiterait pas si l’on disposait d’un parc hôtelier ou locatif ouvert et apte à accueillir des patients infectés à faible coût. J’imagine que les coûts sont importants et que l’État étudie d’autres stratégies possibles utilisées dans des pays où cette stratégie n’a pas été utilisée. Il faut savoir que cette stratégie a fait ses preuves mais n’a pas été généralisée non plus.

EMMANUEL MACRON - ALLOCUTION AVRIL 2020

Comment expliquez-vous que nous soyons, nous Français, si critiques et si durs avec nos propres méthodes ? (éternelle comparaison avec l’Allemagne)

Je pense que c’est humain, et c’est un peu une réaction normale face à l’échec ou au désarroi. Cela peut s’expliquer aussi par le fait que nous ignorons l’ensemble des raisons du succès rencontré par certains pays et qui ne sont pas facilement superposables à notre pays. En effet, ce succès ne tient pas uniquement à un seul critère (comme par exemple, les tests massifs, le port de masques, le respect du confinement) mais à un ensemble de critères mis en place conjointement. Il n’est pas certain que le fait d’avoir fait des tests massifs en France ait conduit davantage la population à respecter les autres mesures dont le confinement lui-même. Or, en Allemagne, ces mesures ont été respectées dès le début et par une grande partie de la population. Il faudrait donc poser sur la table chacune des mesures et connaître leur part de contribution pour juger du bien-fondé de chacune ou de l’addition de toutes ces mesures.

Serons-nous désormais parés face aux prochaines pandémies ?

Je le pense, même si nous sommes loin de l’être encore. Nous apprenons tous les jours et nous sommes en train de déployer une série de mesures qui commencent à porter leurs fruits, avec des réponses dans l’urgence et sans préparation préalable puisque la situation est inédite. On pourrait comparer notre réponse immédiate à cette pandémie (avec nos grands progrès récents) à celle que nous avons donnée à d’autres épidémies au Moyen Age ou plus récentes, où l’ennemi était inconnu et non maîtrisé. Mais à mesure que nous trouverons les moyens de contrôler ce virus nous tirerons les leçons apprises et nous aurons encore plus d’éléments à mettre en place pour faire face aux prochaines pandémies similaires auxquelles nous serons soumis à l’avenir. Le travail de l’État et des nations reste à faire pour assurer la disponibilité des moyens pour lutter contre des catastrophes sanitaires de la sorte.

Et quel est le rôle de la pédagogie dans toute cette affaire ?

Elle est essentielle ! Le savoir, la connaissance dans toutes ses expressions sont la base du progrès de l'Humanité. En l'occurrence, notre survie en dépend. Notre devoir est d'assurer que les connaissances sur les moyens de contrôler cette épidémie ou d'autres à venir soient à la portée de tous, à travers des messages simples et clairs. J’ajouterai que dans ce cas particulier, plus on connaît l’agresseur et ses moyens de nous atteindre, mieux on peut être capable de le maîtriser.

Nous devons tout faire pour que les personnes, quel que soit leur niveau socio-éducatif, comprennent le « minimum vital » sur les tenants et aboutissants de cette pandémie.

Pr Imad Kansau
Spécialiste en maladies infectieuses
Hôpital Antoine Béclère
Université Paris-Saclay
Membre de l’Académie nationale de pharmacie

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