Vers une vaccination obligatoire contre la covid 19 ?

Par
Sahra Chériti
22 mars 2021

Depuis que des soignants ont affirmé refuser de se faire vacciner contre la COVID 19, des voix du monde politique et médical notamment, ont commencé à sérieusement s’élever pour suggérer ou préconiser une vaccination obligatoire les concernant ; d'autres, au contraire, prônent la pédagogie puisque « ce sont eux qui sont en première ligne ». Comment expliquer cette réticence à l’encontre de la vaccination, pourtant constitutive d’un impératif de santé publique (I/) et d’ores et déjà en vigueur dans le monde du travail (II/) ?

I/ La vaccination obligatoire : un impératif de santé publique conforme à la Constitution

1°/ Tout le monde a droit au respect de sa vie privée (art. 9 du code civil) et « … il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui … » (art. 8 de la CEDH).

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a pourtant jugé que, « … en tant que traitement médical non volontaire, la vaccination obligatoire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée … » (CEDH 9 juill. 2002 Salvetti c/Italie n° 42197/98), l’article 16-3 du Code civil disposant qu’il « ... ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale … », à laquelle le patient doit consentir préalablement puisque « … chacun a droit au respect de son corps … », lequel « est inviolable » (art. 16-1 du code civil).

Le Conseil constitutionnel reconnaît toutefois, quant à lui, la protection de la santé comme une exigence constitutionnelle, découlant du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 et selon lequel « … [la nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ... ».

Il a, par ailleurs, rappelé que le législateur dispose d’une large marge d’appréciation en matière de protection de la santé et peut « définir une politique de vaccination [obligatoire] afin de protéger la santé individuelle et collective », de même qu’il peut « modifier les dispositions relatives à la cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques, dès lors que les modalités retenues par lui ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé » … (Décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015).

Ainsi, la protection de la santé publique peut constituer une exception à l’inviolabilité et à l’intégrité du corps humain et rendre, par la Loi, certaines vaccinations obligatoires (à l’exception de contre-indications médicales).

2°/ L’article L. 3111-2 du code de la santé publique (CSP) impose 11 vaccins obligatoires (DT-Polio, ROR, Hépatite B pour les enfants nés après le 1er janvier 2018 etc) pour les mineurs, lesquels conditionnent l'admission ou le maintien dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité, la vaccination contre la fièvre jaune étant, quant à elle, obligatoire pour toute personne âgée de plus d'un an et résidant ou séjournant en GUYANE.

Le refus de se soumettre, ou de soumettre ceux sur lesquels l'autorité parentale est exercée, aux obligations de vaccination, ou la volonté d'en entraver l'exécution, sont punis de six mois d'emprisonnement et de 3.750 € d'amende. De façon plus générale, l’article 227-17 du code pénal, prévoit que le fait, pour le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de 2 ans d'emprisonnement et de 30.000 € d'amende et est assimilée à un abandon de famille.

II/ Et dans le monde du travail ?

1°/ Dans le milieu professionnel, employeurs et salariés doivent, chacun pour ce qui les concerne, se soumettre à un impératif de santé et de sécurité au travail et d’évaluation des risques professionnels.

Certaines vaccinations sont ainsi rendues obligatoires par l’activité professionnelle, le médecin du travail, sous la responsabilité du chef d'établissement, veillant aux vaccinations obligatoires qui sont notamment les suivantes :

  • Les thanatopracteurs (qui interviennent sur le corps des défunts pour une réalisation de soins qui rendent au mort un aspect présentable) doivent être vaccinés contre l'hépatite B ;
  • Les personnes qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exercent une activité professionnelle les exposant ou exposant les personnes dont elles sont chargées à des risques de contamination doivent être immunisées contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite (art. L. 3111-4 du CSP). La grippe était initialement visée avant une suspension par un décret du 14 octobre 2006 ;
  • Les personnes qui exercent des activités à risque (listées à l’article R. 3112-2 du CSP, et parmi lesquels figurent le « personnel soignant des établissements de santé publics et privés ») doivent être vaccinés au moyen du vaccin antituberculeux "BCG" (art. L. 3112-1 du CSP).

Les sanctions encourues en cas de non-respect de ces vaccinations obligatoires (sauf contre-indication médicale) vont, pour le salarié, de la mesure disciplinaire au licenciement pour cause réelle et sérieuse (Soc. 11. juill. 2012 n° 10-27.888), voire à la contravention de 5ème classe (art. R. 3116-6 du CSP).

L’employeur s’expose, pour sa part, à une action prud’homale au titre d'un manquement à son obligation de sécurité ou à une action par-devant le Tribunal judiciaire au titre d’une faute inexcusable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

2°/ L'évaluation des risques permet d'identifier les travailleurs pour lesquels des mesures spéciales de protection peuvent être nécessaires. Ainsi, sans préjudice des vaccinations prévues ci-dessus, l'employeur recommande, s'il y a lieu et sur proposition du médecin du travail, aux travailleurs non immunisés contre les agents biologiques pathogènes auxquels ils sont ou peuvent être exposés, de réaliser, à sa charge, les vaccinations appropriées (art. R. 4426-6 du code du travail).

Ainsi, dans ce cadre et depuis le 25 février 2021, les médecins du travail peuvent vacciner les salariés volontaires de 50 à 64 ans inclus, atteints de comorbidités, avec le vaccin AstraZeneca.

Toutefois, tant que la Loi ne l’aura pas érigée en obligation, rien ne permet de rendre cette vaccination obligatoire pour les travailleurs.

Un salarié qui refuserait de s’y soumettre ne pourrait donc pas, pour l’heure, être sanctionné ou licencié.

Mais qu’adviendrait-il en cas de mise en place d’un « passeport vaccinal » au niveau européen ou autre, s’agissant des salariés impérativement amenés à se déplacer à l’étranger dans le cadre de leurs fonctions ? Et qui seraient d’ailleurs peut-être déjà obligatoirement vaccinés pour se déplacer, par exemple, en GUYANE. Ne se retrouveraient-ils pas ainsi dans l’impossibilité matérielle d’exécuter leur contrat, ce qui justifierait leur licenciement pour cause réelle et sérieuse ?

Par analogie, rappelons que les salariés qui se retrouvent dans une telle impossibilité pour avoir été privés de leur permis de conduire peuvent faire l’objet d’un licenciement, la Cour de cassation l’ayant déjà admis à plusieurs reprises.

S’agissant d’une pandémie, les contraintes vaccinales imposées par les autres pays pourraient donc avoir une incidence sur la législation vaccinale française, sachant que l’article 31 du règlement sanitaire international de 2005 « n’interdit pas aux États Parties d’exiger un examen médical, une vaccination ou la preuve des vaccinations (…) lorsque cela est nécessaire pour déterminer s’il existe un risque pour la santé publique ».

L’obligation vaccinale contre la COVID 19, à commencer par les personnels soignants, n’est donc pas une simple conjecture : rien ne semble s’y opposer sur le plan, en tout cas, juridique.

Par Sahra Chériti, Avocat associé, spécialisée en Droit du travail. Aguera avocats

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