Ernest Hemingway, ses passions et son art vus par Gérard de Cortanze.

Par
Yasmina Jaafar
10 octobre 2024

Le livre récit "Hemingway, Il ne rêvait plus que de paysages et de vieux lions en bord de mer" propose de redécouvrir l'auteur de Paris est une Fête autrement. L'écrivain et éditeur Gérard de Cortanze, véritable passionné de l'artiste, donne de la voix pour mieux connaitre les amours et les envies d'un génie de la plume. Nous l'avons rencontré :

D'où vient votre intérêt pour Ernest Hemingway ?

Hemingway m’accompagne depuis mon adolescence et je le relis sans cesse. La puissance de son œuvre m’a toujours bouleversé. Il n’a que 27 ans quand il publie son premier chef-d’œuvre, "Le soleil se lève aussi". Au-delà du fleuve et sous les arbres, publié en 1950, reste encore, par sa modernité, l’un des grands romans de la littérature contemporaine, lequel sous une apparence de légèreté énonce des vérités d’une terrible profondeur. Quand il se demande à la fin d’un de ses livres, « que reste-t-il d’une vie à la fin d’une vie? », je répondrai, qu’en ce qui concerne la sienne, ce sont évidemment des livres. tous fabriqués contre l’adversité. tous écrits en distillant la rumeur du monde. il ne faut jamais perdre de vue que la vaste littérature d’Ernest Hemingway a été fabriquée par le journalisme et la guerre. Hemingway cite souvent cette phrase de Kipling qui le définit très exactement: « Procurez-vous vos faits et déformez-les."

Pourquoi vous concentrer sur ces derniers jours ?

Après la révolution castriste, Hemingway, antifasciste mais non communiste, quitte malgré lui son paradis en juillet 1960, avec l’espoir d’y revenir. Déprimé, il peine à écrire ses chroniques sur la corrida et à retravailler Paris est une fête, ce roman commencé alors qu’il était à Paris dans les années vingt, retrouvé en 50, et avec lequel, le retravaillant il se re-connecte avec son moi. Gagné par l’impuissance, à la fois sexuelle et littéraire, Hemingway, vulnérable, est poussé au désespoir par le FBI qui le harcèle depuis son engagement aux côtés des républicains espagnols en 1936.. Pour retracer cette période de sa vie, j’ai voulu me mettre dans sa tête : ce que nous voyons c’est sa réalité. Voilà pourquoi les personnages qu’il a créés viennent dialoguer avec lui, où réalité et fiction se mêlent. ET puis, il y a ces terribles séances d’électrochocs. il en subit deux séries à quelques mois d’intervalle. il le dit lui-même. C’est un enfer. un anéantissement. il ne peut plus penser, ne peut lire ni lire ni écrire. Ce qui m’a frappé c’est, chez lui, malgré tout, de continuer à essayer de trouver le mot juste, la bonne phrase. dans cette marche lente vers la mort, il est du côté de Montaigne qui lorsqu’il reprend à Cicéron la célèbre formule - « philosopher, c’est apprendre à mourir », en réalité il nous dit « philosopher c’est apprendre à vivre ». Hemingway ne dit pas autre chose: la mort fait partie de la vie.

Pouvez-vous nous dire un mot sur sa dernière femme Mary Welsh ? Et le couple qu'ils formaient ?

C’est un livre sur le couple, sur l’amour entre Ernest et Mary, ceux que les pêcheurs de Cuba avaient surnommés : «  Papa » et « Miss Mary ». Mary la dernière épouse d’un homme qui s’est marié quatre fois. il vivra 17 ans avec elle, depuis leur mariage en 1944 jusqu’à son suicide survenu le 2 juillet 1961. Elle et lui s’aimaient profondément, même s'il ne se montrait pas toujours très « aimable » avec elle. « Quand Mary n’est pas là, déclare-t-il à un journaliste, je vis dans une vacuité aussi solitaire qu’un poste de radio dont les ampoules sont grillées. ». Enfermée dans une forme de déni, Mary ira d’ailleurs jusqu’à refuser la possibilité de son suicide. En réalité, ce roman raconte deux histoires: celle de l’écrivain et celle de la femme de l’écrivain qui est tout sauf une petite chose fragile, inexistante. elle occupe une place aussi essentielle que celle d’Hemingway.

Que nous a-t-il légué ?

Hemingway a « désentimentalisé » la littérature américaine en particulier et mondiale en générale. Il l’a décrassée. L’a rendue moderne, vive, plus anguleuse, sans pathos, sans fausse nostalgie mais avec une vraie densité de tristesse. Plus que jamais dans ses livres il démontre que dans le roman tout peut être dit car tout est vrai et tout est vrai. Il va au-delà de Mario Vargas Llosa qui se contente d’énoncer que la littérature est la vérité atteinte par le mensonge. Il dépasse cette sous-littérature de l’auto-fiction, chère à nos écrivains d’aujourd’hui: sa littérature frictionnel est entièrement autobiographique. Dans ses livres, parlant des autres il ne parle que de lui. En un sens, il se rapproche de celle belle intuition de Jean-Marie Gustave Le Clézio qui énonce que tout écrivain écrit « pour se cacher ». Hemingway écrit pour se cacher, mais plus il se cache et plus il se dévoile. c’est vertigineux;

Frida, Ernest... sur qui aimeriez-vous écrire ensuite ? 

Mes deux prochains romans sont déjà en chantier. Le premier sera une relecture du mythe de Cyrano de Bergerac et le second évoquera la rencontre entre Casanova et Mozart alors que ce dernier met la dernier main à son Don Juan.

De CORTANZE Gerard - Date: 20110310 ©Mathieu Bourgois/opale.photo

Du même auteur...

Mais aussi...

LA RUCHE MEDIA
40 rue des Blancs Manteaux
75004 Paris
Contact
Yasmina Jaafar
Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
magnifiercrossmenu linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram
Tweetez
Partagez
Partagez