George Sand ou Claire de Duras ont marqué l'histoire mais d'autres, trop nombreuses on été oubliée : Katharine Burdekin, Alice Bradley Sheldon ou encore Jeanne Loiseau alias Daniel Lesueur... Manque de représentativité de femmes fortes ? Femmes de talent ignorées de la Grande Histoire ? Catherine Sauvat publie un livre qu'il ne faut pas rater sur le sujet. Elle regroupe 40 personnalités féminines qui ont été mises de côté. Qui sont-elles ? Pourquoi ce déni ? L'auteure dit tout et explique son goût pour une justice : rendre une place dans le panthéon nationale à ces combattantes, ces artistes, ces figures d'exception est sa motivation. Rencontre :
Katharine Burdekin, Alice Bradley Sheldon ou encore Jeanne Loiseau alias Daniel Lesueur sont moins connues que Claire de Duras ou George Sand. Vous nous rappelez 40 femmes d'exception oubliées. Comment avez-vous fait votre choix ?
Parmi celles que vous citez, seules George Sand et plus récemment Claire de Duras sont restées dans l’histoire littéraire. Il m’importait justement de montrer à quel point de nombreuses autrices avaient disparu des mémoires – les anthologies comme les manuels scolaires n’en comportent que très peu. Dans ma sélection, j’ai tenu à sortir du seul cadre français (il y a ainsi des Anglaises, des Américaines, des Australienne, Suédoise, Danoise, Espagnoles ou Sud-Américaine) ce qui prouve la difficulté des femmes à exister au fil de leurs créations dans les siècles passés.
Cette sélection aurait pu aisément être multipliée par deux. Si j’en ai privilégié certaines, c’était pour montrer la variété des stratégies qui les ont menées soit à rester anonymes, soit à se cacher sous des pseudonymes masculins.
Pour la plupart, il s’agissait principalement d’accéder à la publication. Mais aussi d’anticiper et de déjouer les critiques systématiquement négatives d’une supposée « littérature de femmes ». Certaines ont ainsi réussi à accéder à des genres littéraires jusque-là réservés aux hommes comme l’Histoire ou la science-fiction. Mais d’autres avaient aussi le goût du secret, des masques ou se voulaient « doubles ». D'autres enfin qui se vivaient en hommes, y ont vu une façon d'assumer leur identité sexuelle en choisissant une signature masculine.
Pour résumer, j’ai privilégié deux critères, soit la qualité littéraire de leur œuvre, soit le « romanesque » de leurs vies.
Avez-vous une ambition "militante" ?
Je ne sais pas si j’utiliserai ce mot, mais si contribuer à réhabiliter des écrivaines rayées des mémoires est militant, alors oui, je l’assume. Écrivaines, artistes ou musiciennes, combien sont parvenues à s’imposer ? Je cite des critiques à leur endroit qui sont d’une violence stupéfiante, de nature à laminer toute vocation. Fallait-il qu’elles soient résistantes pour oser persévérer ! Je fais partie d’une génération qui a grandi avec assez peu de femmes sur lesquelles se projeter. Comment y arriver si on ne restitue pas leur identité à celles qui ont lutté dans le passé ?
Quelles sont vos deux auteures préférées et pourquoi parmi ces quarante-trois portraits ?
J’ai toujours aimé les sœurs Brontë (qui ont choisi d’apparaître sous le nom de trois frères, Currer, Ellis et Acton Bell) pour leur détermination inouï et leur imaginaire. En particulier, la plus discrète des trois, Anne, qui a écrit un chef-d’œuvre « La recluse de Wildfell Hall » dont le thème, d’une grande modernité, traite de la violence conjugale. Et j’ajouterais la Suédoise Victoria Benedictsson, sous le pseudonyme d’Ernst Ahlgren, avec son roman d’initiation « L’Argent » d’une extraordinaire finesse. Cette autrice est absolument à re-découvrir !
Catherine Sauvat, "Ils sont elles", Flammarion.