Émilie Aubry et Frank Tétart publient un livre d’actualité "Le dessous des cartes, La puissance et la mer: La puissance et la mer au XXIe siècle". La mer a toujours fasciné l'homme. Théâtre des guerres, de la mer Noire, - l’un des fronts de la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine -, à la mer Rouge, - où les Houthis du Yémen perturbent le commerce international, dans le contexte de la guerre Hamas-Israël -, la rédactrice en chef de l’émission culte d'Arte nous offre une plongée passionnante. Rencontre :

En quoi la mer constitue un lieu de stratégie militaire ? 

Des thalassocraties de l'Antiquité à nos jours, les Hommes partent à la conquête des mers pour gagner en puissance, en influence et, pour commercer. En 2024, 90% du Commerce est transporté par bateau, c'est dire l'importance de l'enjeu maritime.

Par ailleurs, c'est en Mer de Chine du Sud que le régime de Xi Jinping révèle son vrai visage, annexant, colonisant des espaces maritimes qui appartiennent à d'autres pays riverains, comme les Philippines par exemple ou le Vietnam. La Chine ne cesse de moderniser ses forces navales, avec le projet de dépasser dans ce domaine le grand rival états-unien. Enfin, si Vladimir Poutine a annexé la Crimée en 2014 puis tenté d'envahir toute l'Ukraine en 2022, c'est notamment pour russifier la petite mais stratégique Mer d'Azov, mettre la main sur une péninsule, récupérer des ports sur la Mer Noire etc... Poutine qui ne supporte pas, par ailleurs, d'avoir perdu avec la fin de l'URSS un certain nombre d'accès à la Mer Baltique, notamment depuis l'indépendance des États Baltes. Bref, les mers sont souvent des enjeux militaires, voire des terrains de guerre, regardez par exemple comment les Houthis du Yémen parviennent à paralyser les flux en Mer Rouge, en attaquant des navires occidentaux, en soutien disent-ils du Hamas palestinien.

Comment les pays utilisent également les dessous de la mer et pourquoi ? 

Sous les mers se cachent des km de câbles qui rendent possible 98% de nos communications. C'est aujourd'hui un enjeu majeur. Pas étonnant donc que des États fassent de ces infrastructures sous-marines des cibles: voici le temps des guerres hybrides, en parallèle des guerres "classiques": on peut faire beaucoup de tort à un pays-ennemi en endommageant ses câbles, ses gazoducs sous-marins, ses Éoliennes off-shore etc... Sans oublier les abysses: à plus de 3000 mètres sous les mers, les grandes puissances développent aussi des moyens technologiques et militaires pour mieux maîtriser ces écosystèmes sensibles.

La guerre navale prend-t-elle donc d'autres formes ? 

Oui, par exemple la guerre des filets: notre fringale de poissons aujourd'hui, que l'on retrouve sur tous les continents, notamment à travers l'industrie des Sushis, caractéristique de la mondialisation de nos habitudes alimentaires, épuise les ressources halieutiques et certains États sont plus "pirates" que d'autres: c'est la guerre des filets. Nous racontons dans le livre comment les chalutiers-mastodontes chinois raflent tous les poissons des côtés ghanéennes, au mépris des lois internationales et des populations locales qui vivaient autrefois de leur pêche artisanale.

La mer constitue l'essentiel de la surface planétaire. Selon vous, pourquoi la géopolitique se pense souvent par la terre, et moins par la mer ? 

La mer est plus difficile à apprivoiser que la terre, il est plus difficile de s'y aventurer notamment pour filmer, raconter ce qui s'y passe. Mais nul n'ignore je crois l'importance stratégique des mers et océans du monde.

Quel est votre prochain projet ? 

Après plusieurs reportages "maritimes", en Baltique à bord d'une frégate de l'OTAN, dans le Détroit de Formose pour comprendre l'enjeu de Taïwan, dans le détroit de Gibraltar pour être en ce point de la carte où Afrique et Europe ne sont séparées que par 14 km, je prépare un voyage dans le Golfe Persique cet hiver, parce que les Etats qui le bordent, notamment les Émirats où nous ferons escale, sont ceux qui écriront le monde de demain: des puissantes émergentes, entre Occident et Orient, actrices-clef d'un nouveau monde multipolaire qu'aucun État ne pourra plus prétendre diriger à lui tout seul.