Arnaud Benedetti est le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire mais aussi l'un des premiers défenseurs de Boualem Sansal. Cette arrestation inédite et arbitraire, survenue le 21 novembre dernier en Algérie, secoue la France. Arnaud Benedetti dirige le Comité international, composé de plus de 20 nationalités,(personnalités du monde politique, intellectuel, culturel, scientifique, associatif), pour obtenir la libération de l’écrivain. Un beau combat qui comme le précise le journaliste est un "combat pour un homme mais aussi pour l’universalité de principes".
Rendez-vous à l’Institut du Monde Arabe, le 16 Février prochain pour une soirée nouvelle de soutien. Rencontre :
Boualem Sansal est emprisonné depuis 85 jours par le pouvoir algérien. Que risque-t-il au regard de la justice de ce pays qui l’accuse d’« atteinte à l’unité nationale » ?
Il a été arrêté sur les bases de l’article 87 bis du code pénal algérien qui fait parti de l’arsenal judiciaire mis en place dans les années 90 pour lutter contre le terrorisme et la subversion. Il définit le périmètre du champ du terrorisme : "Est considéré comme acte terroriste ou sabotage tout acte visant la sûreté de l’État, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions". Il a été complété plus récemment d’autres dispositions incriminantes comme "œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels " ainsi que "porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit". C’est cette extension du champ de l’article qui est vraisemblablement appliqué à Boualem Sansal qui risque pour ces motifs la prison à la perpétuité, voire même formellement la peine de mort, laquelle n’est plus appliquée néanmoins en Algérie.
Bien évidemment ces accusations sont fantasmatiques. Boualem Sansal est un prisonnier politique. Il est détenu en raison de sa liberté d’expression, des critiques qu’il porte sur le régime algérien depuis de nombreuses années, et il est aussi une victime directe de la dégradation des relations franco-algériennes depuis que Paris a reconnu la "marocanité" du Sahara Occidental. Tebboune avait prévenu la France que l’Algérie lui ferait payer cette reconnaissance. L’arrestation de Boualem Sansal est le premier acte de cette politique de rétorsion.
Comment et pourquoi est née votre action pour le libérer ?
Boualem Sansal est membre de la Revue politique et parlementaire. Dès que nous avons été malheureusement certain de son arrestation, avant les autorités françaises au demeurant, la Revue, vieille revue généraliste qui avait en son temps défendu le Capitaine Dreyfus, s’est retrouvé naturellement dans ce combat ; elle a pris l’initiative de ce Comité de soutien, dont la Présidence d’honneur est assurée par Catherine Camus , la fille d’Albert Camus et la présidence opérationnelle par Noëlle Lenoir, avocate et ancienne ministre des Affaires européennes. Ce Comité international, composé de plus de 20 nationalités, et de personnalités du monde politique, intellectuel, culturel, scientifique, associatif, issues d’horizons politiquement très divers n’a qu’un objectif et un seul : œuvrer à la libération immédiate et sans condition de l’un des plus grands écrivains francophones. Pour ce faire, il s’agit d’élargir toujours plus le Comité, l’internationaliser (nous avons une trentaine de grands écrivains sud-américains qui nous ont rejoint ), d’opérer une mobilisation politique, médiatique et événementielle soutenue afin que le sort absolument scandaleux qui est réservé à notre compatriote ne sorte pas du radar de la visibilité et des consciences. Ce combat pour un homme est un combat aussi pour l’universalité de principes avec lesquels nous ne devons pas transiger. C’est bien évidemment ce que nous avons mis en avant lors de notre premier rassemblement organisé au Théâtre Libre le 16 Décembre où nous avons pu réunir en un temps record plus de 1000 personnes, signe que l’incarcération de Boualem Sansal suscite une indignation largement partagée. A Paris , ville où notre ami séjourne régulièrement, la Ville de Paris et les mairies d’arrondissement se mobilisent en affichant le portrait de Boualem ou en organisant des événements comme dans le 17 ème à l’initiative du Maire Geoffroy Boulard le 21 Janvier ou bientôt un moment de lecture autour de l’œuvre de l’écrivain avec plus de 400 lycéens dans la mairie du 9 ème arrondissement, cette fois-ci à la demande de Delphine Bürkli, la maire.
Le prochain grand rendez-vous aura lieu très bientôt à l’Institut du Monde Arabe le 16 Février prochain. Ces points de rendez-vous sont fondamentaux pour maintenir sous tension l’actualité d’une cause qui mobilise amplement du Président du Sénat à la Présidente de l’Assemblée nationale, d’Edgar Morin à Alain Finkielkraut, etc …Le 7 Mars se tiendra également une réunion de soutien à Berlin organisée par l’éditeur de Boualem, à laquelle participera aussi notre ami Kamel Daoud, membre également du Comité de soutien.
Sommes-nous, la France, si impuissant ? Quelle est l'état de notre relation diplomatique ?
Elle est particulièrement dégradée depuis la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France. Au moment où Alger a eu vent que Paris s’apprêtait à cette reconnaissance, le Président Tebboune a clairement prévenu que tout serait fait du coté des autorités algériennes pour faire regretter aux français leur position. L’arrestation de Boualem Sansal, naturalisé français, est le premier acte de rétorsion exercé par le régime algérien à l’encontre des français. Benjamin Stora répète que la situation franco-algérienne n’a jamais été aussi abimée. C’est un fait mais force est de constater qu’elle l’a toujours été. Le ressentiment anti-français est le moteur du “ récit national’’ algérien depuis 1962 et par conséquent de la légitimation du pouvoir issu du FLN. C’est pratique car cela permet de masquer les échecs du régime sur le plan politique, économique, social tout en activant une rhétorique d’hostilité permanente dont le but est de s’assurer de la cohésion minimale de la société civile qui ne manque pas pourtant d’être fracturée et de gronder. L’une des pistes pour assurer une sortie rapide de prison de Sansal est de s’extirper de ce face-à-face mortifère entre la France et l’Algérie en européanisant entre autres le dossier.
De ce point de vue , la résolution que le Comité a poussé au Parlement européen constitue une avancée importante car elle a été adoptée rapidement, massivement , de manière transpartisane et transnationale. C’est là un premier succès. Il n’est pas suffisant mais il élargit la mobilisation à une échelle qui apporte la démonstration que l’enjeu n’est pas liée aux seules relations franco-algériennes. Ce d’autant plus que l’accord UE/Algérie est en cours de renégociation et qu’il est conditionné par des clauses de respect des droits humains.
Rima Hassan dit "non" à la libération de l’écrivain franco-algérien, Manon Aubry ne semble pas faire mieux. Comment expliquez-nous l'attitude de cette gauche là ?
Je préfère retenir le vote massif de leurs collègues en faveur de la liberté de Boualem Sansal. Ces quelques députés placent leur vision partisane de la politique au-dessus de ce qui devrait tous nous unir : le respect des droits fondamentaux. C’est là un esprit de secte qui place ces quelques parlementaires face à leur conscience. La justification de leurs votes n’échappe à personne : tartuffes jusqu’au bout, ils entendent défendre la liberté… mais manifestement par tout le monde.
Comment va Boualem Sansal ? Avez-vous pu avoir des nouvelles ?
Il est malade, atteint d’un cancer, et les informations dont nous disposons sont celles qui nous sont transmises essentiellement par ses conseils algérois dont la liberté de parole est particulièrement contrainte. Je rappelle qu’à l’heure où nous parlons Maitre Zimeray, l’avocat français de Boualem Sansal, ne dispose toujours pas de visa et que la protection consulaire n’est pas accordée à notre ami. C’est dire si nous avons toutes les raisons d’être préoccupés , d’autant plus que nous ne savons rien sur la qualité des soins qui lui sont prodigués, pas plus sur le nom de ceux qui sont censés le soigner.
Nous venons d’écrire à Médecins du Monde et à Médecins sans frontières avec le Docteur Marc Maidenberg à la tête d’un collectif de médecins pour qu’une mission médicale soit diligentée au chevet de Boualem Sansal. Une demande également exprimée par la résolution votée au Parlement européen .