RETOUR SUR LA FASHION WEEK : LE SEIN QUI AFFOLE LES RÉSEAUX SOCIAUX

Par
Yasmina Jaafar
16 mars 2017

NICKI MINAJ est affolante ! Plus précisément... sa poitrine a donné à voir durant la semaine Fashion à Paris. La toile s’enflamme ! Question : la vulgarité réside-t-elle dans ce voyeurisme moralisateur ou dans le sein lui-même ? Pauline Escande-Gauquié, sémiologue, revient sur LA photo dont tout le monde a parlé.

Décryptage :

Pauline Escande-Gauquié

De la fashion week de mars 2017 à Paris, les réseaux sociaux n’ont retenu qu’une image : celle de la rappeuse Nicki Minaj qui, lors du défile Haider Ackermann, a fait le choix d’une tenue laissant sortir l'un de ses seins, le téton caché par un simple morceau de ruban adhésif noir. Assises à côté d'elle, l'actrice et chanteuse Lou Douillon et la modeuse Caroline de Maigret qui semblent pour le moins gênées par la tenue dénudée de leur voisine. Le symbole flamboyant d’une Amérique provocatrice coincée entre deux oriflammes de l’élégance parisienne. De dos, un femme avec son smartphone, prête à dégainer des photos en rafale. Quel tableau !

Il semblerait que le défilé soit devenu la vitrine des people où ce qui captive le plus n’est plus le défilé lui-même mais « qui » est présent lors de cet évènement si fermé. L’hypermédiatisation numérique du défilé a bouleversé ce spectacle où les extravagances hors scène deviennent plus dignes d’intérêt que les extravagances sur le podium. Le défilé n’est plus synonyme d’un moment d’exposition haut de gamme du savoir-faire de la Haute Couture mais un lieu d’exhibition de soi où l’important est d’être vu. Ce n’est plus le vêtement mais l’individu qui devient la mesure étalon de la réussite d’un défilé : le people comme valeur absolue de l’évènement avec ses emballements - qui porte quoi ?  - et ses débraillements - ici le sein de Nicki Minaj.

La vie de la fashion week est ainsi rythmée par le jeu médiatique où la production d’images « prêtes à consommer » est l’enjeu quotidien de l’évènement mode tant regardé par le milieu. Ce storytelling incessant a tourné cette année à Paris autour du dévoilement mammaire de Nicki Minaj. La chanteuse a provoqué une concentration monopolistique de l’attention en semblant dire, « mon sein c’est mon style ».

L'obscénité n’est pas à attribuer au seul phénomène d’exhibition du sein mais à son exploitation médiatique révélatrice de ces nouveaux rituels où l’individu se donne en spectacle et organise son apparition comme un évènement. Les réseaux sociaux favorisent le renouvellement de ce type de mise en scène transgressive, nouvelle attraction dans le carnaval du défilé mode. Le sein de Nicki Minaj est en cela un anachronisme dans le cérémoniel car il ébranle l’œil. La foule numérique jubile de voir violées les règles de la bienséance et de la posture à « tenir » lors d’un défilé au profit de ce potache vulgaire. Cette mamelle titille et c’est sa force médiatique. Quelle bouffonnerie de voir, pour le grand public, le grand évènement de l’élégance frôler avec le ridicule. Les people comme Nicki Minaj savent très bien provoquer l’indignation du public car c’est leur fond de commerce. D’ailleurs, plus le contraste est grand entre la situation de représentation attendue et la transgression, plus le coup médiatique fonctionne. Nicki Minaj donne ainsi un grand coup de ciseaux au milieu de la mode en invoquant un droit purement formel de refuser le temps d’un clic les conventions de la pause officielle au profit d’un spectacle hyper kitch et somme toute factice.

Au final, ce sein confirme que les célébrités dans cette aventure textile jouent le rôle de performers. Il y a celles qui performent parce qu’elles ont le truc, la classe, le chic comme Lou Doillon et celles qui performent par le clash. Nicky Minaj porte son corps comme une robe et elle a bien l’intention de le montrer. La célébrité a un rapport stratégique à sa propre image, elle est prise dans un processus de performer à l’instar du performer artistique. « L'art performance » par essence éphémère est connu par ses traces, des photographies le plus souvent… La matrice numérique avale ainsi la fashion week qui se soumet à cette obsession actuelle de la performance. Dans la société de l’apparence, il n’y a d’expérience possible que via l’hyperstimulation écranique où l’individu devient à lui même son propre modèle, un objet à styliser, à relooker, un performer de soi.

Les spectateurs absorbent ainsi les secousses et les clignotements de ce drôle de monde où un sein gadget peut déchainer les passions. L’enjeu ? Fournir du prêt à regarder sur les plateformes comme Instagram qui sont devenues des alliées de poids pour les marques de luxe et les célébrités présentes durant la fashion week. Les plateformes génèrent alors des millions de likes et de commentaires, les comptes des marques, des célébrités, des mannequins se tapissant de photos backstage, shooting et autres. Sur Instagram, le #Fashionweek recense en effet plus de 35O millions de publications entre photographies personnelles et professionnelles. Ces hashtags sont une source d’information mais aussi d’échange monétaire importante pour les entreprises. Bref, il y a un vrai business derrière ces détournements tendancieux du défilé, les photos chocs des célébrités participant largement à créer la notoriété des défilés. Ceci explique pourquoi de plus en plus de marques acceptent dans un accord tacite avec les notoriétés cette tartufferie. Aujourd’hui tout est rendu visible, lisible, possible et les clichés alimentent sans cesse la centrifugeuse du numérique. Le sein de Nicki Minaj « crève les yeux » comme dirait Edgar Poe dans la Lettre volée, tout en demeurant largement peu objectivé car il agit sur le pathos, le subjectif, l’émotion, le tapage. Les corps vivants, dit Foucault, sont « plaisir, discontinuité, fête, repos, besoin, hasard, violence » et c’est précisément cette « énergie explosive» d’un corps que la célébrité cherche à produire pour ordonner un corps médiatiquement utile. Voilà le nouvel eldorado, le « magnétisme » de certaines clichés de la fashion week postés sur les réseaux sociaux provient du fait qu’ils suractualisent ce qui devrait être inactualisé.

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