Éric Découty - "La femme de pouvoir" : une rouquine, une intrigue et une époque

Par
Yasmina Jaafar
4 mars 2022

Éric Découty a été journaliste d'investigation. Il a travaillé notamment au Figaro, à Marianne, au Parisien et à Libération. Aujourd'hui, 3 mars, paraît son nouveau roman "La femme de pouvoir" aux éditions Liana Levi . Éric Découty, aussi présent dans les colonnes de Franc-Tireur, plonge le lecteur dans la France des années 70 grâce à un style d'écriture cinématographique et journalistique. Rencontre :

Simon, jeune policier, cherche sa vérité dans votre dernier roman "La femme de pouvoir". Est-ce l'histoire d'une obsession tenace ?

Simon est obsédé par la mort de sa mère, une jeune prostituée assassinée alors qu’il était enfant et dont il n’a pas gardé de souvenirs. Cette obsession tient beaucoup au secret qui entoure cette mort. Un secret comme une chape de plomb que sa grand-mère refuse obstinément de lever, s’efforçant même de le détourner de sa quête et de son enquête.

La vie de Simon Kaspar semble n’être occupée que par cette recherche qui va le conduire à se confronter à des réalités, notamment politiques, qui lui sont indifférentes mais auxquelles il ne pourra plus échapper…

Nous sommes plongés en pleine période "Pompidou". On croise Marie-France Garaud ou encore Pierre Juillet, deux proches conseillers de Georges Pompidou. Pourquoi avoir choisi ces années-là comme décor ?

Oui, on croise beaucoup de personnalités politiques réelles, notamment Raymond Marcellin, alors ministre de l’Intérieur, qui tient dans le roman une place particulière… Nous sommes en 1973-1974, la fin des années Pompidou, une période qui est un peu tombée aux oubliettes et finalement peu abordée par la littérature. Or c’est une période fascinante, la fin des trente glorieuses bien sûr mais ce sont aussi des années agitées par une kyrielle de scandales, des affrontements politiques liés à la fin du gaullisme. Il s’agit encore d’une époque où politique, police, affairisme, banditisme et prostitution se mêlent souvent et qui demeure imprégnée par les années noires de la guerre et de la collaboration. Je voulais donc raconter ce début des années 70, période beaucoup plus sombre que les vêtements colorés de l’époque pouvaient le laisser croire.

La Rouquine tient tout. Elle a le pouvoir dans un monde masculin. Quelle figure vous a inspiré ce personnage de femme forte que rien n'effraie ?

La Rouquine elle-même ! La vraie : prostituée, mère maquerelle informatrice de haut vol, amie des politiques, passionnée d’opéra… Un grand flic a dit un jour : « elles étaient deux à tenir Paris : madame Claude était la plus connue mais la Rouquine était la plus puissante. » Mais au-delà de cette puissance je voulais traiter de son histoire intime, son incroyable secret à elle aussi…

Et... selon Nanou, la grand-mère protectrice de Simon, c'est "Une fille qui porte le mal". La couleur de cheveux est-elle réfléchie ?

Je ne pouvais pas tricher avec la couleur de ses cheveux mais si je fais dire cela à la grand-mère de Simon c’est parce que dans la vraie vie, certaines personnes avaient fait cette remarque pour expliquer son comportement. C’est un clin d’œil…

Elle s'inquiète de voir son petit-fils évoluer dans un environnement dangereux. Police et truands. D'ailleurs, elle "ne lui demande pas à quoi il a occupé son temps. Elle le sait." En plus d'être un thriller policier, "La femme de pouvoir" est-il aussi un roman sur les liens familiaux ? 

Je ne crois pas qu’il s’agisse à proprement parler d’un roman policier, en tout cas tel n’était pas mon objectif. Mon projet était, comme nous en avons parlé, de traiter du début des années 70 et de la fin du gaullisme, mais de plonger aussi dans l’univers étrange et glauque de la brigade mondaine. Pour ce qui est des liens familiaux c’est sa dislocation sous le poids du secret que l’un (la grand-mère) veut à tout prix préserver et l’autre (Simon) est obsédé par sa révélation.

Vous écrivez à propos des méthodes d'enquête : "Éradiquer le mal vaut bien quelques compromissions". Vous connaissez bien cet univers. Les méthodes parfois peu orthodoxes d'une époque ont-elles évolué ? 

Le roman traite de deux univers policiers : celui de la Mondaine et celui de la DST, le service de contre-espionnage totalement dédié à la lutte contre les communistes et au service d’un pouvoir paranoïaque convaincu être à la veille d’une révolution bolchévique… Les méthodes de la Mondaine comme de la DST ont largement évolué. Heureusement. Ce sont celles d’une époque révolue mais je ne suis pas certain qu’il ne reste pas quelques traces, même cinquante ans plus tard…

Petit rappel : que signifie "La Mondaine" ?

L’ancien brigade des mœurs. Elle était chargée de « contrôler » la prostitution. Mais pas que… Elle était composée de petites unités de policiers, des groupes avec chacun leur spécialité. Ils s’appelaient « le groupe des hôtels », celui des « cocus », des « pédés », de « la galanterie », etc… Un autre monde. La Mondaine a disparu elle se dénomme aujourd’hui brigade de répression du proxénétisme.

ÉRIC DÉCOUTY

Vous avez été Journaliste d'investigation et grand-reporter. Vous enquêtiez sur des affaires politico-financières, d'où le ton journalistique dans vos œuvres. Mais vous écrivez des livres depuis longtemps, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que l'écriture vous apporte ? Est-ce par exemple de pouvoir mettre la réalité à distance ? 

Je crois que j’écris depuis toujours et (presque) tout le temps. J’ai passionnément aimé mon métier de journaliste d’investigation. Il m’a permis d’aborder des franges du réel, ces réalités cachées, dissimulées, les zones obscures de la politique. Cela va peut-être vous sembler étrange mais le roman, la fiction est pour moi une sorte du continuation… Il ne s’agit pas de mettre la réalité à distance mais au contraire de l’aborder par des versants que le journalisme interdit. Le roman peut-être une excellente façon de raconter le réel…

Et écrire pour le cinéma ? 

C’est en effet un projet mais avant j’ai l’immense bonheur de réaliser un rêve de théâtre. Pas comme comédien je vous rassure… J’ai écrit une pièce de théâtre qui va être montée dans les prochains mois, le casting est fabuleux et cela me rend très très heureux.

Le petit soviet, votre premier roman paru en 2021, explore aussi sous forme d'enquête policière et journalistique, le passé d'un homme. Les souvenirs, le secret, les fantômes d'une vie sont-ils vos thèmes de prédilections ? 

Oui, vous l’avez bien compris, ce sont des thèmes importants pour moi.

Avez-vous déjà un autre roman en tête ? 

Oui bien sur…

Éric Découty - La femme de pouvoir - Liana levy - 22e - 416P

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Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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