Marie de Hennezel : "Pourquoi vieillir serait-il honteux ?"

Par
Yasmina Jaafar
3 janvier 2023

Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, publie aux éditions Robert Laffont "L'Aventure de vieillir". Un véritable plaidoyer pour chacun puisse saisir que le vieillissement n'est pas un naufrage mais qu'il est ce que les sociétés en font. Rencontre :

Que gardez-vous de vos réflexions menées avec des groupes de personnes vieillissantes ?

Que ce soient des retraités d’Audiens (de 60 à 80 ans) ou des personnes de 80 à 100 ans autonomes et ayant choisi de vivre cet âge de la vie dans une résidence senior non médicalisée, le point commun est le désir de vieillir bien et de rester autonomes. Je garde le souvenir de personnes motivées, désirantes, pleines d’énergie. Elles ont compris que « bien vieillir » était un travail et un cheminement qui suppose beaucoup d’acceptations, de deuils à faire, mais aussi et surtout un esprit d’aventure, ouvert au nouveau. Elles savent que la clé est de conserver l’estime de soi. Pour cela, surtout ne pas s’isoler. Rencontrer d’autres personnes de la même génération pour parler ensemble, enrichir mutuellement. Cette solidarité intra-générationnelle est essentielle. Et c’est ce que permettent les groupes de réflexion et les séminaires que j’anime depuis 15 ans.

La sémantique prend une place importante dans votre ouvrage. Vous rappelez par exemple les slogans gouvernementaux (ministère de la Santé) comme "Bien vieillir". Une société va-t-elle mieux quand elle sait choisir ses mots ? 

Tout le malheur du monde vient, d’après Camus, du mauvais usage des mots. Je fustige en effet l’usage de l’expression « anti-âge » qui envoie un très mauvais signal. L’âge serait donc un ennemi à combattre ? Vieillir serait il honteux ? Cette sémantique est le fruit d’une société âgiste (qui exclut les vieux) les invisibilité les infantilise. Je me demande parfois pourquoi le fait de prendre de l’âge est-il si mal accepté ? Parce que nos valeurs sont jeunistes ? Il faut être jeune, performant, actif, avoir des corps jeunes et beaux. Les "vieux", et nous sommes nombreux à assumer le mot, explorent les contre valeurs de la société : la lenteur, la disponibilité, la tendresse, l’être, la sagesse. Ils restent des citoyens à part entière qui vivent autrement, mais pas moins bien.

Quant au terme "Aventure", qui est un mot fort, l'avez-vous choisi comme on choisirait un symbole ?

J’ai choisi ce mot parce qu’il dit la réalité : vieillir est une aventure, une inconnue pleine de paradoxes. Car vieillir c’est continuer à vivre. Quand on part à l’aventure, on ne sait pas ce qui va vous arriver. Mais le seul fait de partir révèle que l’on reste désirant, et que l’on est prêt à rencontrer les bonnes comme les mauvaises surprises. On se fait confiance. On fait confiance aux ressources insoupçonnées que l’on a à l’intérieur de soi, on fait aussi confiance à la vie et à ceux que l’on va rencontrer sur le chemin. Oui vieillir est bien une aventure. Et c’est plus qu’un symbole, c’est une image forte.

Vous dites que votre génération est pionnière quant à la façon d'envisager le vieillissement. Pourquoi ce retard ? Et sommes-nous, français, différents des autres pays ?(Japon par exemple)

Je ne suis pas sure qu’on puisse parler de retard. Les nouveaux vieux d’aujourd’hui ont tout simplement entre les mains des cartes différentes de celles qu’avaient leurs parents. Ma génération - les boomers - se caractérise par un grand désir d’autonomie. Nous sommes la génération qui a fait Mai 68. Qui a fait sauter bien des verrous, qui a privilégié la liberté. C’est cet amour de la liberté et ce respect de l’autonomie qui font que les plus de 60 ans refusent l’image dégradée de la vieillesse, sur laquelle la silver économy fait d’ailleurs ses choux gras. Cette génération veut affronter sa peur de vieillir en mettant en place des pistes pour rester autonome le plus longtemps possible, et pour vivre dans un environnement qui corresponde à ses besoins et à ses désirs. C’est une génération consciente et responsable. Consciente de bénéficier d’une longévité exceptionnelle, de progrès scientifiques notables, responsable de faire de cette chance de vieillir une occasion de transmission d’une maturité heureuse aux générations plus jeunes. Cette manière d’envisager son vieillissement comme une aventure semble être le fait de la génération européenne d’après guerre. Elle n’appartient donc pas qu’aux Français. Vous citez le Japon. J’y suis allée il y a 4 ans et j’ai découvert un pays vieillissant, dans lequel les centenaires sont autonomes et considérés par leurs enfants et petits enfants comme des « trésors et des porte-bonheurs ». C’est aussi au Japon que se développent des petites communautés de vieux solidaires, établissant entre eux un contrat de non-abandon moral et financier. Nous réfléchissons maintenant en France à cette solidarité intra-générationnelle, avec l’initiative des « béguinages solidaires ».

Vous le dites bien : "Il ne s’agit pas d’idéaliser la vieillesse". Quel regard portez-vous sur la représentativité des personnes âgés dans à la télévision, dans la fiction, au théâtre ?

Non il ne s’agit pas plus d’idéaliser la vieillesse que la vie. Mais de reconnaitre que ceux qui gardent le goût de vivre vieillissent mieux que ceux qui le perdent quel qu’en soit la raison. Le désir - au sens large - l’envie d’aller de l’avant, n’est pas destiné à «vieillir ». Et le monde artistique est un monde qui suscite et entretient le désir. On peut rester créatif en vieillissant. Je déplore que notre société moderne reste figée sur une image déficitaire de la vieillesse. Les médias, la télévision, le théâtre et le cinéma devraient être les premiers relais de cette autre image, qui montre que vieillir c’est un « dévoilement ». La télévision, le théâtre  et le cinéma devraient participer de ce dévoilement, révéler ce qu’est vraiment vieillir, c’est à dire vivre autrement, de façon plus libre et authentique, révéler son être profond, ses valeurs parfois enfouies, sa sagesse intime. Comment transmettre tout cela sinon par la culture ?

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