Les réseaux sociaux : ce cinquième pouvoir analysé par la spécialiste en réputation Véronique Reille-Soult

Par
Yasmina Jaafar
7 juillet 2023

L'ultime Pouvoir traite des réseaux sociaux et de notre intérêt grandissant pour ce cinquième pouvoir. Véronique Reille-Soult, experte en stratégies de réputation, en communication et présidente du cabinet Backbone consulting nous dit tout sur ce qui se cache derrière ces nouvelles méthodes de communication : impact, utilisation, effets pervers, bienfaits...

Rencontre :

Avons-nous une culture générale des réseaux sociaux en France ? 

Par rapport aux pays anglo saxons ...

Oui il existe une culture générale des réseaux sociaux et elle n’est pas fondamentalement différente de celle des pays anglo-saxons. Cette culture est souvent basée sur une pratiques sans réelle maitrise des règles des algorithmes qui finalement régissent les échanges pour les internautes malgré eux. La véritable différence n’est donc pas tant dans la pratique, ou dans la connaissance mais plus dans la typologie et le contenu des expressions sur certaines catégories. La typologie qui à la position la plus différente est celle des chefs d’entreprises. En France il y a une réserve naturelle des dirigeants qui expriment peu leur points de vues personnels. Généralement ils relaient l’expression « corporate » de leur entreprise. C’est un point de différence notable car seul les expressions personnelles créent un engagement fort. Cette différence culturelle à tendance à se modifier avec la jeunes génération des dirigeants, c’est particulièrement notable au sein des patrons du next 40 qui ont largement compris la puissance de leur réputation et de leur « personnal branding » tant en terme de valorisation de leur actif intangible que en terme de protection.  

Que signifie le terme "cinquième pouvoir" ? 

Dans son traité De l’esprit des lois (1748), Montesquieu distingue trois pouvoirs : voter les lois (législatif), les faire appliquer (exécutif), et enfin rendre la justice (judiciaire). En 1840, Balzac présente dans La Revue parisienne un nouveau pouvoir, celui d’informer : « La presse est en France un quatrième pouvoir dans l’État : elle attaque tout et personne ne l’attaque. Elle blâme à tort et à travers. Elle prétend que les hommes politiques et littéraires lui appartiennent et ne veut pas qu’il y ait réciprocité ». Avec l’arrivée des réseaux sociaux, un nouveau pouvoir s’est installé́ : celui de l’opinion publique qui a la capacité de s’exprimer. C’est cela le « cinquième pouvoir », celui de l’opinion qui peut  établir la réputation et  déterminer à la fois la valeur sociale de chacun et la valeur financière des entreprises.

Une partie de la jeunesse s'informe exclusivement sur les réseaux sociaux. Est-ce en constante évolution ? Peut-il y avoir un retour vers les médias traditionnels ? 

C’est effectivement une tendance de fond, qui ne concerne d’ailleurs pas uniquement les jeunes, même si pour eux c’est une pratique qui les structure. On ne parle pas assez souvent des « lurkers », ces internautes qui ne s’expriment pas sur les réseaux sociaux, mais qui sont présents massivement. Ils lisent, regardent et s’informent sur les réseaux. La défiance envers les médias explique ce phénomène mais aussi l’envie et le besoin de connaitre l’avis de ses pairs. Pour autant cette nouvelle logique d’information n’est pas forcément en opposition aux médias. Le succès de médias en ligne comme « Hugo décrypte » montre bien que la caution d’un media reste plébiscitée. Informations vérifiées, ouverture avec des points de vus et interviews d’experts restent des clés de compréhension. L’avenir des médias est donc la voie de « marque caution » permettant à chacun de se repérer dans la masse des actualités et informations dont le flux augmente constamment.

Quel est en quelques mots votre vérité sur les réseaux ? Tous nocifs ou pas ? 

L’expression sur les réseaux sociaux n’est que le reflet de notre société en 3D. Le meilleur et le pire se côtoient. Mais une véritable modération est nécessaire. En effet le vrai danger est celui du cyberharcèlement et des manipulations. Tous les réseaux sociaux ne sont pas nocifs mais il faut savoir les utiliser et mettre en place des outils et moyens pour suivre et modérer. C’est donc les internautes eux même qui sont la clé des bons comportements. A condition que on mette à leur disposition une réelle transparence et des bons outils.

De Twitter, Facebook ou Instagram, laquelle de ces platesformes est en perte de vitesse ? Et comment font leurs dirigeants pour rester dans le coup ? 

Les besoins des utilisateurs sont nombreux et insatiables, et il existe autant de médias sociaux que d’usages : publier des photos ou des vidéos (Instagram, Snapchat et YouTube), programmer un évènement et retrouver des amis perdus de vue (Facebook), chercher des inspirations de décoration (Pinterest), jouer aux jeux vidéo (Twitch) ou partager sa passion du karaoké́ (TikTok). À chaque génération son réseau social et ses usages spécifiques, à chaque communauté son espace d’interaction privilégié́. Pour autant les 3 principales plateformes que vous cités se débattent pour rester en haut des fréquentations et conserver voir augmenter leur audience, pilier de leur modèle économique. Elles s’épient et adoptent les innovations technologiques dès que cela semble fonctionner comme le montre l’adoption des « room vocales » par tous. L’annonce du déclin des grandes plateformes reste leur sujet de préoccupation et explique leur position ambivalente sur la modération qui réduit de fait les audiences. Ce sont donc plus des évolutions d’usages que des disparitions qui sont observées, comme Facebook et les jeunes qui y sont toujours sur la plateforme mais plus pour créer et gérer des évènements que pour partager et échanger sur leur intimité, approche qu’ils réservent a Instagram.

L'école renseigne t elle assez sur ce cinquième pouvoir qui fait maintenant nativement partie de la vie de chaque enfant français ? 

Non pas vraiment. A l’école, pour chaque âge un enseignement pourrait être mis en place, et à ce jour cela n’est pas le cas. Par exemple plutôt que d’interdire aux enfants l’utilisation de wikipedia il serait plus judicieux d’apprendre à l’utiliser. Apprendre ce qu’est une source, comprendre comment vérifier celle-ci, et apposer la logique de lecture et de compréhension critique serait certainement plus efficace. Cette logique d’apprentissage pratique pourrait aussi s’effectuer quelques années plus tard, à l’entrée au collège, sur la gestion des données personnelles. Les exemples sont légions, mais ne sont pas appliqués à ce jour.

L'ultime pouvoir, Cerf, 20e, 210p

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