Stephan Kalb - IA, enjeux et actions : "Il ne suffit pas d'affirmer que la France veut devenir le leader européen de l'IA, tout en préservant le droit d'auteur et le droit voisin, pour être à la hauteur des enjeux qui nous attendent"

Par
Yasmina Jaafar
11 février 2025

Le 10 et 11 février, s'est tenu à Paris, Le Sommet pour l’action sur l’IA. La Chine, la France et l’Inde semblent vouloir se coordonner pour l'émergence d'une gouvernance internationale de l’IA. D'ailleurs, selon l’Élysée, après le Royaume-Uni, la Corée du Sud et la France, l'Inde accueillera le prochain Sommet international sur l'intelligence artificielle. Mais quels enjeux, quels dangers et quels encadrements juridiques pour protéger les artistes ? Nous avons rencontré le producteur Stephan Kalb (Seconde vague productions) et membre fondateur de l'association Les voix pour un bilan et savoir, entre autres, si cette motivation, qui demandera dialogue, entente et vision commune, est réaliste. Rencontre avec un professionnel des médias et un acteur artistique concerné :

Le sommet de l'IA vient de se terminer à Paris. Quel est votre bilan ? Le sommet vous semblait-il à la hauteur des enjeux ? 

La première chose que l'on peut affirmer, c'est qu'il était enfin temps de s'emparer publiquement du sujet de l'IA générative. Depuis plus de deux ans, nous sommes nombreux dans le milieu audiovisuel à avoir alerté pour souligner l'urgence et le retard pris par la France. Faire un grand sommet est donc une réelle avancée ! Mais il ne suffit pas d'affirmer que la France veut devenir le leader européen de l'IA, tout en préservant le droit d'auteur et le droit voisin, pour être à la hauteur des enjeux qui nous attendent. Et surtout l'IA générative soulève d'immenses questions, aussi bien en termes de droit, de souveraineté, d'emploi, d'investissement, d'éthique, d'écologie, de modèle politique… Il s'agit d'une révolution, pas d'une simple évolution de l'informatique. Et pour cela, nous devons accepter un réel débat contradictoire. Le sommet ne l'a pas tout à fait permis. C'est regrettable. Personnellement, j'utilise tous les jours l'IA dans mon métier de producteur et je me forme à l'automatisation et au prompt engineering, tout en m'imposant des limites et une éthique. Le sujet de l'IA générative est trop sérieux pour ne pas l'aborder en sortant de sa zone de confort et en se posant les questions fondamentales de ce que nous voulons, comment, pourquoi et pour qui. Nous parlons de l'avenir de l'humanité. Vous remarquerez que nos élus ne semblent pas l'avoir véritablement intégré pour le moment dans leur raisonnement. Ils restent étonnement silencieux sur le sujet…

En qualité de producteur, puis de comédien, quels dangers pour l'univers artistique ?  

Le danger auquel on pense en premier est évidemment la théorie "schumpetérienne" de la croissance par l'innovation, toute révolution technologique amenant à de la disparition de métiers pour en créer de nouveaux. Ça se produira certainement dans de nombreux domaines. Ce qui n'est pas un problème en soi si toutefois on s'y prépare ! Ceci dit, l'IA pour le moment dans nos métiers, n'a de performance qu'en accompagnant ou challengeant un créateur humain. Car quand elle crée uniquement par elle-même, hors tâches répétitives où elle s'avère utile, elle ne fait qu'assembler des datas qu'elle possède déjà, ce qui est un appauvrissement. Le résultat est toujours conventionnel. Les artistes ne sont donc pas prêts à être remplacés, sauf si nous voulons des œuvres sans âme.

Comment protéger ses acteurs juridiquement ?

Mais le sujet qui préoccupe le monde de l'art est la traçabilité des œuvres pour assurer à la fois les droits des auteurs et les droits voisins, et donc aussi les rémunérations. Cela concerne aussi bien les artistes, que les producteurs, les distributeurs, les compositeurs et toute la chaîne de création des œuvres etc… Pour cela il faut obliger à une transparence des données (RIA en cours de discussion à Bruxelles), à un étiquetage des IA produites (sonores et visuelles) pour que le public soit informé de qu'il regarde ou écoute, à la mise en place d'outils pour obliger les IA hors UE à respecter le RGPD et à être en conformité avec le droit… Nous avons un formidable outil européen qui est le RGPD. On peut tout à fait imaginer une IA éthique européenne, qui crée de la valeur, de la richesse, de l'innovation, qui associe les humains à la machine, protège les citoyens et la démocratie et qui offre la promesse d'un avenir désirable. Il faudra aussi se poser la question qu'avait soulevé Benoit Hamon, il y a 10 ans sur la taxe robot, car il va bien falloir financer la transition du travail. Et, faut-il le rappeler, si l'IA générative fonctionne c'est parce qu'elle a volé nos datas depuis de nombreuses années. Il y a un péché originel et il va falloir une compensation. Certains ont commencé à imaginer des modèles redistributifs, comme Genario (IA française d'analyse et de création de scenario), qui reverse une partie de ses revenus à la SACD. C'est une initiative à saluer.

Pensez-vous qu'il faille une gouvernance internationale ? 

A priori les intérêts entre les USA, la Chine, la Russie, les Brics+, l'UE, sont tellement opposés que ça n'arrivera pas. En revanche nous avons besoin que l'Europe affirme son modèle et soit courageuse. Nous avons pour nous le droit d'auteur, la régulation (IA ACT), le RGPD, un marché puissant, une histoire millénaire, un attachement à la démocratie. L'Europe doit s'affirmer ! C'est un moment important pour l'avenir de nos enfants ! Nous avons une histoire à écrire.

Les 100 milliards investis par le président Macron sont-ils suffisants ? 

C'est une réelle avancée. Mais là aussi, il faut associer investissement, vision politique, modèle social, économie et éthique. Nous ne pouvons pas imaginer concurrencer les USA ou la Chine avec la même vision, c'est à dire sans réglementation d'un côté, ou par un contrôle des citoyens de l'autre. Le Président de la République a raison d'annoncer un investissement financier massif pour soutenir les players français et de vouloir attirer des start-up dans notre pays. Qui plus est, nous avons des ingénieurs de qualité et nous continuerons à en avoir si toutefois nous finançons correctement notre Éducation Nationale. Mais, si l'argent est le nerf de la guerre, nous devons aussi affirmer notre modèle social et penser la régulation, en adéquation avec le droit européen. Réguler n'est pas un gros mot !

Ministère de la culture, instances culturelles comme la SACD… imposent un savoir-faire, des bonnes méthodes. Est-ce une chose souhaitée ? 

Oui. C'est la force de notre pays. Nous avons des organismes de gestion collective (OGC) qui fonctionnent bien et qui sont un modèle pour le monde entier. Il en est de même concernant les syndicats d'employeurs et de salariés et les associations professionnelles (Les Voix par exemple). Plus que jamais, il faut faire confiance aux professionnels. Ils savent de quoi ils parlent. Ils ont une expertise, une légitimité, une vision à long terme et des propositions concrètes à faire. La ministre de la Culture s'est engagée à défendre et à accompagner le secteur audiovisuel et culturel dans cette révolution de l'IA générative, on ne demande qu'à la croire, à l'encourager et à l'aider. Place aux actes désormais…

Nous sommes assaillis par la désinformation. Nous amusons-nous à nous faire peur avec l'IA ou l'humain sait et a toujours su s'adapter aux évolutions technologiques ? 

Je ne suis pas historien, ni anthropologue, c'est dommage j'aurai dû pousser mes études plutôt que de faire du théâtre il y a 30 ans (rires). Mais comme lecteur et cinéphile, je ne peux que conseiller de lire Nexus de Harari qui évoque clairement ce sujet et aussi Max Tegmark avec son ouvrage de référence sur l'IA générative : La vie 3.0. Il y a aussi toute la littérature SF dont la série des Robots d'Asimov. Philippe K. Dick. Et Barjavel. Et Surveiller et Punir de Michel Foucault, plus que jamais d'actualité. Quant au cinéma, il est urgent de découvrir ou de revoir Kubrick, Fritz Lang, les sœurs Wachowski, Cameron, Ridley Scott… Il y aura toujours des artistes, des humains créatifs et surtout non conventionnels, c'est l'occasion de les redécouvrir et de sortir un peu la tête de son smartphone.

Du même auteur...

Mais aussi...

LA RUCHE MEDIA
40 rue des Blancs Manteaux
75004 Paris
Contact
Yasmina Jaafar
Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
magnifiercrossmenu linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram
Tweetez
Partagez
Partagez