Joëlle Kalfon revient avec un troisième livre : "Les hommes qui passent". La trilogie s'achève en beauté ! Ses mots toujours aussi forts pour décrire l’âme humaine, nous font voyager au cœur du genre et des relations Hommes/Femmes. Jamais revendicateur, jamais sombre, souvent adroit et concernant, le recueil de nouvelles est fin. Nous en avons profité pour connaitre le point de vue de cette grande Dame de la télévision, auteure et productrice sur l'évolution du féminisme post #metoo :
Après "Le jour se lève et la nuit est toujours là" (2022) et "Les gens qui sourient ne dansent pas tous les jours" (2024), vous publiez le troisième volet de votre trilogie. Mi sociologue mi romance, quelle trame majeure traverse votre dernier écrit ?
Comme son titre le suggère, les hommes qui passent parlent des amoureux qui se sont immiscés dans ma vie pour le meilleur et parfois pour le pire. Ce sont cette fois-ci des chroniques sentimentales à travers lesquelles j’évoque l’itinéraire plutôt chahuté sur 40 ans ,Cela va de la jeune-fille qui ne connait de l’amour que ce qu’elle en a lu et qui s’est fait un film en technicolor de ce que ça allait lui apporter à la femme mature qui à 60 ans se remet sur le marché de la séduction avec tous les risques et les déboires que cela comporte. Des années 80 à nos jours, il en a coulé de l’eau sous les ponts de Paris et d’ailleurs, les codes ont changé et les hommes ont dû se faire plus petits et moins décisionnaires qu’ils ne l’avaient été depuis la nuit des temps. La trame majeure de mon livre est placée sous le signe des relations amoureuses qui ne sont ni une promenade de santé ni un réquisitoire à l’encontre de la gent masculine. J’ai considéré et peut-être ai-je tort et à l’instar d’ Edith Piaf que sans amour, on n’est rien du tout. Cela a été ma devise et plus que ça , ma recherche insatiable pour avancer et me réaliser. Dans cet opus je ne me donne pas forcément le beau rôle et j’ai attiré des hommes qui ne m’ont pas fait que du bien mais je les ai accueillis en leur accordant toujours le bénéfice du doute. Cela dit, l’amour sous emprise se vit et ne s’explique pas forcément. L’amour est un anesthésique et on n’a pas envie d’être réveillé. Je raconte mes histoires singulières mais au su et au vu des retours de mes premiers lecteurs, je me rends compte qu’ elles ont une vertu universelle. A la manière d’un chirurgien, je passe au scalpel toutes les nuances du sentiment et du ressentiment amoureux, Les hommes tout autant que les femmes se réfléchiront dans ce miroir qui sent le vécu et qui ne manquera pas de tous nous interpeler. La femme est l’avenir de l’homme clamait Aragon, je crois plutôt que la femme a un avenir qui ne ressemblera en rien à son passé. Et moi de rajouter qu’être une femme libérée ça n’est pas si facile mais c’est tellement mieux que ce que nos mères et nos grands-mères ont dû endurer, .A 18 ans, je croyais au prince charmant et j’ai bien fait d’y croire puisque j’ai fini par le rencontrer et maintenant , à l’âge des tempes grises, j’y crois encore et je n’ai de mature que ma peau car le cœur est resté fidèle à la jeune -fille que j’étais. La vieille au bois dormant c’est moi.
Votre livre conçu comme un recueil de nouvelles donne à voir les hommes de votre vie. Quel regard portez-vous sur le néo féminisme qui cherche à déconstruire plutôt que de construire des ponts entre les genres ?
Je suis restée longtemps une intermittente de l’amour et j’avais hissé tout en haut de mes priorités la volonté de mener une carrière incompatible avec une vie matrimoniale. Je ne me voyais pas en madame de et encore moins en mère de famille, je voulais me situer aux antipodes de la femme au foyer qu’avait été celle qui m’a mise au monde. Mes histoires d’amour se devaient d’être passionnelles et pas inscrites dans un quotidien normé, cadré , carcéral. J’étais une féministe même si dans les années 80, le terme était quelque peu dévalué. En revanche, j’ai obéi bien malgré moi à des schémas patriarcaux. J’ai avalé des couleuvres et j’ai accepté des comportements border sans l’idée d’aller déposer une main courante à cause d’une main baladeuse. Le mouvement #metoo a libéré la parole et c’est tant mieux mais lorsque le prisme idéologique s’empare des cerveaux, on se dirige vers des abus de pouvoirs déplacés et dérangeants. Je reproche aux néo féministes de ne plus être des femmes qui défendent les droits de toutes les femmes. Elles ont des indignations à géométrie variable. Elles s’émeuvent davantage pour des abus sexuels commis par des mâles blancs de plus de 50 ans que par la répression que subissent les Iraniennes contraintes de porter le voile.
Les hommes sont terrorisés et n’osent plus aborder l’autre sexe, aux états unis, ils refusent de se retrouver seul avec une femme dans le même ascenseur. C’est parole contre parole et la présomption d’innocence a volé en éclats. On assiste à un maccarthysme versus féminisme qui ne me dit rien de bon. J’aimais bien le paroles paroles chanté par Dalida et Alain Delon. L’époque affichait une légèreté qu’on a perdue au profit d’un terrorisme de la pensée qui a pour conséquence de gonfler les troupes masculinistes de tous bords. Pas besoin de les citer , il y en un qui a la peau orange.
Quels sont les 3 hommes politiques, artistes, scientifiques qui sont vos références ? Lesquels ont participé à votre schéma de pensée ?
Je n’appartiens pas à la race de ceux qui ont été influencés et phagocytés par des idéologies et encore moins par des personnalités ; J’admire mais je n’épouse pas. Je m’en réfère à Camus qui n’est en rien étranger à ma façon de penser. Lui se voulait un radical de la nuance.je ne pourrais mieux dire. Je suis une fervente des oxymores et je prêche pour un esprit de contradiction éclairé. Les cinéastes et les chanteurs m’ont renvoyé des images et des sons dans lesquels j’ai pu me reconnaitre. Véronique Sanson, Francis Ford Coppola, Claude Sautet. Edward Hopper. Etablir un tiercé ne relève pas de mes compétences. J’ai découvert Proust à 15 ans et je me suis dit que jamais je n’oserais pondre un livre alors je suis devenue une journaliste. Je suis une fervente de la chose politique et je me suis passionnée pour le 19 -ème siècle. Pour en revenir aux hommes qui sont passés dans ma vie, eux m’ont fait découvrir des artistes et j’ai apprécié de les aimer à travers l’amour que je leur portais. Je me meus dans un siècle des lumières que l’on éteint chaque jour davantage. Je pense comme Voltaire et c’est de la faute à Rousseau Sandrine si on va finir dans le ruisseau. Parfois, je me dis que je pense selon un logiciel obsolète et que je suis une vieille et puis je me dis que Tocqueville, il en pense quoi d’Elon Musk ?Effectivement, dans l’e . monde, j’y ai un peu perdu mon âme et Marc Aurèle ne sait pas quoi me dire de l’intelligence artificielle. A la croisée des chemins, je ne veux pas penser que la pensée n’est plus qu’une fleur.
Philippe, votre mari disparu clôt cette nouvelle aventure littéraire. Il vous a beaucoup apporté, mais vous, que dirait-il de la femme qui est passée et qui est restée ?
Avoir eu la chance de rencontrer Philippe constitue la plus belle des cerises sur le gâteau de ma vie. Il disait de moi que j’étais sa pépite et la dernière femme de sa vie. Même s’il est mort , l’amour que je lui porte est bien là. On s’est aimés à perdre la raison. Fusionnels nous l’avons été et je crois que j’ai su le rendre heureux. Je n’en suis pas peu fière. Il doit se demander de quelle façon je me nourris , lui qui faisait une cuisine de chef à domicile. Comment je m’oriente dans la ville , moi qui le prenais pour mon GPS biologique. Comment je me dépatouille avec la high technologie, lui qui était capable de démonter le modem d’ un ordinateur. Bref , il se faisait un souci d’encre à l’idée de me laisser seule sans lui. Que penserait-il de moi ? Question difficile mais rien que je ne sache déjà, on s’est tout dit de son vivant. Lui est un homme qui n’est pas passé seulement trépassé. Il a fait de moi une inconditionnelle de l’état amoureux. J’ai l’impression qu’une partie de lui s’est insinuée en moi et certaines de ses qualités , j’en ai hérité en grande partie. Il m’a appris la patience et la pondération. Je réfléchis avant d’agir et j’essaie de mettre les gens dans ma poche. La décrépitude du monde, il l’avait annoncée au siècle dernier et j’avoue que je trouvais ses propos bien trop déclinistes pour être crédibles. Depuis sa disparition, j’ai rencontré un homme et je ne pensais pas être capable de ressentir des émotions pour un autre que mon cher et irremplaçable mari. J’ai eu la sensation incongrue de le tromper. Dans mon livre, je le nomme "pas super Mario" et pourtant , je remercie cet individu de m’avoir sortie de ce carcan mortifère dans lequel je m’étais enfermée de mon plein gré. Philippe aimait la vie et je me dois de l’aimer encore un peu pour qu’il survive au-delà de lui. Nous ne vieillirons pas ensemble et j’espère que je ne vieillirai pas seule et que j’obtiendrai sa bénédiction morale. Les forces de l’esprit de Philippe veillent sur moi.