Stéphan Kalb (Seconde Vague Productions) est un défenseur de la création. Au-delà des multiples projets de fictions et documentaires qu'il s’apprête à faire exister, il se bat avec force pour que les artistes et les créateurs ne soient pas dépossédés de leur travail à coup de IA mal appréhendée. Le 11 juin est une date à retenir. Celle du lancement du Label "Interprétation humaine" avec l'association Les Voix et le Syndicat National de l’Édition (SNE). Pour tout comprendre des enjeux autour du livre audio, de l'interprétation via l'humain et non la machine, nous avons rencontré le producteur :
Qu'est-ce que le Label "Interprétation humaine" lancé avec l'association Les Voix et le Syndicat National de l’Édition (SNE) ?
Avant de devenir producteur de fictions et de documentaires, j'ai longtemps été comédien. Depuis plus de 3 ans, nous alertons les pouvoirs publics de l'arrivée de l'Intelligence Artificielle dans le domaine de la voix et de l'audiovisuel. Avec l'aide d'Odile Cohen, une comédienne réputée en charge du livre audio chez Les Voix, nous avons donc imaginé avec le SNE et sa présidente, Laure Saget, qui est aussi Directrice générale d'Audiolib, de créer un label "Interprétation Humaine" pour le livre audio. Ce label qui sera lancé le 11 juin, signalera au public que s'il achète un livre audio possédant cette mention, il y aura bien un.e artiste derrière le micro et non une IA. Car les voix IA, conçues avec des vols massifs de voix, sont déjà présentes partout. Ce label "IH" qui est une première en Europe, est le moyen de garantir une excellence d'interprétation qui n'est pas une tromperie sur la marchandise. Si le public préfère acheter un livre audio fait par des humains, il le pourra, car il le saura. C'est aussi un marqueur lancé à tout l'audiovisuel. Cette initiative pourrait être reprise et adaptée dans d'autres secteurs, le cinéma (acteurs à l'image), la musique, le livre… car tout va aller beaucoup plus vite qu'on ne le pense.
Comment avez-vous pu mettre cela en place ?
Je précise d'abord que je suis très technophile. Mais l'IA doit rester sous contrôle et dans un cadre défini par les professionnels. C'est le constat que nous avons notamment partagé avec le SNE. Nous avons donc décidé d'être proactifs et créatifs, les pouvoirs publics étant aux abonnés absents. Le livre audio se vend très bien, c'est un marché en expansion. Nous parions donc sur le fait que le public sera sensible au fait d'acheter des œuvres de l'esprit réalisées et interprétées par des humains et non par des machines. Cette phrase paraît folle… mais c'est bien le réel qui est face à nous.
Pourquoi les pouvoirs publics sont si peu réactifs ?
Il faut le leur demander (rires). Je pense qu'il y a un mélange entre méconnaissance des sciences dures, fascination pour la Silicon Valley, pression du lobbying IA, peur d'être dépassés par les USA et la Chine, et surtout absence de vision. Le politique est entré définitivement dans le temps très court et le sujet de l'IA est si fondamental qu'il faut une vision à long terme. Il faudrait donc réguler dès à présent et réfléchir en commun. Et ceci n'entraverait pas la technologie, bien au contraire. L'Europe a sa carte à jouer, en pariant d'abord sur notre exception culturelle.
Vous dirigez Seconde Vague Production depuis 2024, quels sont vos projets ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Quid de l'IA dans votre travail ?
Nous avons en ce moment une convention d'écriture avec France Télévisions pour un téléfilm écrit par Eric Vérat. J'ai aussi la chance d'être producteur associé à Anne Viau (Quelle aventure) et Thomas Saignes (Empreinte Digitale), les deux producteurs délégués et co-créateurs de la série "Alter Ego" de TF1, avec Eric Cantona et Bruno Sanches, en tournage en ce moment à Marseille. C'est une expérience très enrichissante. J'ai lancé aussi des développements de séries, de téléfilms et de documentaires, avec des talents comme Anne Le Nen, Sarah Tissandier, Nathalie Abdelnour, Marie du Roy, Fabrice Gardel, Alfred de Montesquiou, Laura Lardeux…
Concernant les IA, chez Seconde Vague nous nous sommes formés à l'automatisation et au prompt engineering, et avons créé des assistants IA pour le workflow administratif. Ceci permet d'aller plus vite sur les tâches répétitives et de se consacrer davantage à la créativité et à la vision de l'entreprise.
Vivez-vous votre métier de producteur comme un engagement politique ?
Je suis un enfant du théâtre public, j'ai retenu mes leçons sur la "polis" de la Grèce antique. Toute œuvre de l'esprit est par nature "politique" car elle s'inscrit dans la cité. Seconde Vague a été créé et dirigée par Paul Saadoun, un producteur reconnu pour sa vision sociétale, puis par Sabrina Roubache qui est devenue ministre de la Ville. J'essaie de poursuivre cette route en apportant ma singularité. Quels que soient les genres, de la comédie au drama, du documentaire sociétal à l'historique, je souhaite produire des œuvres télévisuelles qui touchent le plus grand nombre avec une exigence narrative forte, toujours en lien avec l'époque. Et l'époque a tellement à nous dire.
Les temps actuels obligent-ils à des créations audiovisuelles à la hauteur de la situation ? Une sélection à visée universaliste ?
Oui, plus que jamais ! Aujourd'hui nous assistons au retour du populisme dans nos démocraties et à la guerre sur notre continent. Les enjeux écologiques sont oubliés, le Proche-Orient vit une tragédie sans précédents, la technologie nous interroge, entre fascination, espoir et inquiétude. Sans parler des deepfakes qui sont un immense défi pour l'appréhension du réel et de la vérité. J'ai tendance à voir tout cela comme une stimulation à la création. Et je désire d'ailleurs utiliser l'IA comme un outil d'aide à la création, mais certainement pas comme un remplaçant de l'humain. Notre monde a cruellement besoin d'espoir, d'intelligence et d'amour. Et aussi d'un peu de légèreté. La télévision entre chez les gens, nous avons cette responsabilité entre les mains.
Seconde Vague Productions, le site ici
