Tour à tour nostalgiques, dansantes, vibrantes, festives, des chansons plus anciennes comme Covilhà ou Fatum alternent joyeusement avec Fado do Manuel et Rouxinol de son dernier album. Bévinda accompagnée à la guitare par Gilles Clément et Misja Fitzgerald Michel, nous offre un nouveau voyage en terre lusophone, un spectacle où sa langue maternelle se mêle à sa langue d’adoption, le français. Rencontre avec une identité double et entière :
Que raconte "Gêmoes" ? Est-ce avant tout un hommage à votre frère jumeau Manuel ?
Gêmeos veut dire jumeaux. J’ai eu un frère jumeau qui n’a vécu qu’une quinzaine de jour. Je n’ai appris que très tardivement, vers l’âge de 10 ans, que j’étais deux. Un manque inconscient était là dormant dans mon tréfonds. Aujourd’hui, 60 ans après, tant d’albums plus tard, la vision de ce frère endormi s’est imposée à moi, et un matin, entre veille et sommeil, Manuel est venu me parler, et m’a dit: « tu ne m’as jamais écrit de chanson » je lui ai répondu, « oui, c’est vrai, tu as raison, je vais nous raconter, cette naissance difficile, ton départ, ma culpabilité d’avoir survécu ». J’ai alors questionné ma maman, sur cette naissance et nos premiers et derniers jours ensemble et j’ai écrit la chanson Gêmeos comme un emblème à son absence à la vie.
Cet album oui, est un hommage à mon frère jumeau disparu, mais c’est aussi une grâce rendue à tous nos chers amours et amis évanouis, comme par exemple dans la chanson Neve (neige) qui raconte mon premier amour parti trop tôt, trop vite, cet album est pour tous nos être chéris qui nous manquent, et le vide, jamais comblé comme une partie de nous envolée avec eux. Apprendre à vivre, à panser nos blessures, à avancer toujours sur ce chemin où la matière règne en maître, s’inventer des dialogues muets, avoir cette correspondance avec l’invisible, ceux que l’on ne voit plus mais qui demeurent en nous, le temps de notre bref passage terrestre, apprendre à aimer, à s’aimer.
C’est un album de retrouvailles, un pont entre le visible et l’invisible, une correspondance entre deux rives, deux berges traversées par le pont de la poésie et de la musique, qui permettent l’accord et l’harmonie même passagère, d’un instant de paix fragile et fugace, mais réel.
C’est pourquoi avez-vous décidé de reprendre le chemin des studios après 10 années de pause, depuis 2012 et votre album Opium à bord ?
En 2013, l’univers de la musique avait beaucoup changé, évolué vers la dématérialisation, le numérique, le téléchargement. J’ai alors décidé de cultiver mon jardin, faire un potager, tranquille, à la campagne, et en parallèle, de faire une formation de professeur de chant dans les musiques actuelles, et d’enseigner, ce qui m’apprends toujours beaucoup et que j’aime vraiment. Je ne souhaitait pas continuer à faire des albums, dans des conditions où je devais tout prendre en main, je ne m’en sentait pas ni la force, ni le talent, sans doute étais-je aussi arrivé à un âge, à un moment de ma vie, où la pause s’imposait. Sans regrets ni amertume, j’ai pris le temps de la jachère, en cultivant mon jardin, je cultivais mon intérieur, et un jour d’été, de grande sécheresse, voyant d’un coup la pluie tombée, l’herbe jaune souriante d’une verdure à venir, une mélodie est arrivée et s’est imposée comme une délivrance, l’eau coulait et avec elle, en moi, des notes et harmonies, ainsi est née la chanson « Il pleut sur les roses de Saint -Georges-Du-Rosay ».
D’autres airs, d’autres mots sont apparus et je me suis retrouvée avec une dizaine de chansons, qui sont restées dans un tiroir, et c’est là que mon frère Manuel m’a parlé, j’ai alors décidé de les enregistrées avec mes amis guitaristes et arrangeurs Gilles Clément et Antonin Fresson, simplement, surtout deux guitares, et parfois , une basse, un peu de percussions (André Sallès). Parfois du violoncelle (Isabelle Sajot) et violon et piano (Edric Chang etHsu Wei Ling) sur des arrangements de mes amis pianistes et auteurs compositeurs Pierre-Michel Sivadier ( Horizonte crepuscular) et An Tôn Thât ( Gêmeos). J’ai la chance d’avoir eu, tout le long de ma carrière, de très belles amitiés et affinités musicales, avec qui j’ai pu réaliser et mettre au jour mes chansons. Frédéric Fresson chez qui j’ai fait les premières ébauches de cet album, en compagnie de Jessica Rock, Antonin Fresson et Mimi Sunnerstam. Et ensuite, l’album définitif qui est finalement parti vers une autre direction, plus dépouillé et sobre.
Quelle est votre définition du Fado ?
Ah c’est une grande et vaste question. J’ai découvert le fado tardivement, vers l’âge de 22 ans lors d’un exercice au Studio des Variétés. Nous devions chanter une chanson de notre pays, je suis alors allé chercher des vieilles cassettes de fado que j’avais acheté lors de mes voyages au Portugal, j’en ai appris une, que j’ai chantée a capella devant mes professeurs et les autres élèves: Meu corpo ( mon corps). Une autre voix est arrivée , profonde, suave, le chant de l’âme était là. Je n’écoutais alors que de la chanson française et du rock et pop anglaise. Chanter dans ma langue maternelle m’a emplie , m’a comblée, je trouvais enfin ma voie, ma voix. J’ai commencé a écouté à l’infini la grande Amália Rodrigues, et d’autres fadistes comme Maria Teresa de Noronha entre autres. Ce fut un retour à mes racines, à ma terre de naissance, à la langue et poésie portugaise. A l’issue de cette formation de deux ans au Studio des variétés, je décide de partir travailler et vivre à Lisbonne.
Et après quelques mois dans cette merveilleuse cité au bord du Tage, je reviens différente, avec la certitude que mon fado aura les couleurs de ma vie, cette vie d’émigrée bercée par Brassens, Maxime le Forestier, Brel, les Beattles, Génesis, Pink Floyd et bien d’autres. Mon fado doit me ressembler, un fil entre deux cultures, cela sera toujours le blues maritime mais avec mes empreintes de vie . J’ai choisi délibérément, de mettre d’autres instruments que les deux guitares traditionnelles ( guitare portugaise et guitare acoustique), contrebasse, percussions, violoncelle, piano, je n’ai eu de cesse jusqu’à ce jour, de suivre mon instinct et de rencontrer des musiciens venant du Jazz, de la Pop , de la chanson française.
Je ne voulais pas de codes trop marqués: l’attitude, yeux fermés, visage vers le haut, châle sur les épaules, juste être moi, libre d’avancer avec ce chant si puissant, ce blues saudade, visiter cette nostalgie en lui donnant les couleur de ma musique, des couleurs métissées se balançant entre joies et tristesse, force et douceur, tendresse et rage. Fatum est é o meu fado, Fatum est, do outro lado ( Fatum est, c’est mon fado, Fatum est, de l’autre côté).
Née au Portugal mais en France depuis l'âge de 2 ans, qui y a-t-il de portugais en vous ?
Maman et Papa travaillaient beaucoup, ma grand-mère vivait avec nous, elle ne parlait que portugais. J’ai redoublé le CP car je ne voulais pas apprendre à écrire et lire le français. La langue portugaise de ma mamie , de mes parents était en moi. Ma grand mère a un rôle essentiel dans mon imaginaire portugais, elle me racontait des histoires et des légendes portugaises, elle me chantait des chansons, me parlait de sa terre, son village, les gens de chez elle, et quand parfois nous allions en vacances au village, elle m’amenait avec elle voir ses amies , elle buvaient un petit verre de vin dans la cave et mangeaient ce fromage typique de ma région de montagne, elle m’en donnait et je dégustais ce goût piquant particulier. Et j’écoutais leurs histoires, et je me berçais de toute ces beautés , de ces mots qui chantaient. Je dirais que je suis un pur produit de l’émigration, une culture populaire, j’ai été élevée à la portugaise, du respect pour les ainés, une maison rangée et propre, le sens du travail accompli, être plutôt dans la réserve que la démonstration.
Et puis j’ai parcouru à l’âge adulte mon pays en large et en travers, j’y ai résidé, j’ai étudié le portugais littéraire à la Sorbonne, j’ai fais des tournées au Portugal, mon pays est en moi dans mes veines, dans mon sang, et la France, mon pays aussi, coule aussi dans mon apprentissage de vie, mon esprit libertaire, ma recherche de liberté. La je suis deux aussi, l’un et l’autre, mêlée comme des jumeaux identiques mais différents , ensemble et autonomes.
Comment vous êtes vous préparée pour le concert du 18 juin prochain ?
Nous jouons sur scène avec mes amis guitaristes Gilles Clément et Misja Fitzgerald Michel, et tout au début Antonin Fresson, ce répertoire depuis la sortie numérique en février 2024 de « Gêmeos ». Nous l’avons joué à plusieurs occasions sur des scènes parisiennes, en province , en Espagne aussi. Ce répertoire est composé de chansons de mon album Gêmeos, mais nous y avons introduit également des chansons d’autres albums comme Fatum, Ter outra vez 20 anos, Lusitânia ou Covilhà, des fados traditionnels comme cansaço, c’est un répertoire où les langues se mêlent, le français et le portugais, avec entre autre, une chanson du grand auteur Pierre Grosz : 3 peuples tristes, et aussi une toute nouvelle chanson en anglais sur un poème écrit en anglais par Fernando Pessoa : Summer moments.
Nous nous voyons pour répéter régulièrement à Paris et à ma campagne, nous passons du temps ensemble, à jouer mais aussi à manger, rire , parler. C’est un tout, jouer et vivre des moments ensemble, la musique est dans ma vie, comme une continuité de ma vie, elle n’est pas un moment spécial, mais un dialogue de l’intérieur vers l'extérieur, un voyage léger au milieu de conversations politiques, sociales , philosophiques ou intimes. Et bien sûr des vocalises pour maintenir ma voix en forme, et un travail de mémoire sur les textes des chansons.
Et la veille d’un concert, je suis un bloc, concentré, là je parle peu, je ne me laisse pas divertir, pour arriver le plus lucide et paisible possible jusqu’au moment de l’arrivée sur scène, où là, je laisse sortir, s’exorciser, les mots, les notes, les émotions, en un mot , au plus présent, la musique ensemble.
Le 18 Juin 2025 à 20h30 au Studio de l’Ermitage - 8 rue de l’ermitage - 75 020 Paris.Pré-ventes : 23 euros ; 25 euros sur place.