Anna Politkovskaïa : Tadrina Hocking rend hommage à la journaliste russe qui défia Poutine

Par
Yasmina Jaafar
26 septembre 2025

La pièce "Anna Politkovskaïa - femme non rééducable", adaptée du livre paru en 2007 de Stefano Massini et mise en scène par Tadrina Hocking avec les comédiens Caroline Rochefort et Pierre Berçot, se jouera du 14 au 18 octobre au théâtre de la Concorde, avant une grande tournée française. La journaliste d'investigation assassinée à Moscou en 2006 a résisté face au pouvoir poutinien. La femme de courage avait couvert l'invasion et la guerre de Tchétchénie. Rencontre avec Tadrina Hocking :

Le 16 octobre, la représentation sera suivie d’un échange avec Manon Loizeau, journaliste d’investigation et réalisatrice de documentaires franco-britannique.

Le 17 octobre, la représentation donnera lieu à une discussion avec avec Olga Prokopieva, directrice de Russie-Libertés.

Et bien je dirais que la réponse se trouve dans la question. Elle dénonce donc elle est assassinée. Aucune définition de la liberté ne rentre dans un tel schéma. Si ce que je dis implique ma mort et/ou celle de mes proches, ma liberté est réduite, soumise à une forme de terreur et d’intimidation. La liberté de penser, de s’exprimer est un droit qui devrait être fondamental, mais peu de pays l’appliquent, voire aucun. Même dans nos démocraties, la liberté d’expression a ses limites pour le gouvernement qui dirige. C’est moins visible, il y a une tolérance plus large mais le besoin de contrôle de l’information est si fort que les censures sont présentes partout, dans presque tous les pays du monde et à différentes échelles.

Cette mort est aussi un moyen de donner un exemple, de faire peur, de museler par la terreur. Anna Politkovskaia n’est pas morte n’importe quel jour. Elle a été assassinée le jour de l’anniversaire de Vladimir Poutine. L’arme déposée à côté de son cadavre est celle des ordonnances. Il n’y a eu aucune volonté de masquer les raisons de son assassinat. Il y a eu une volonté de faire de sa mort un exemple pour celles et ceux qui auraient eu l’envie de faire comme elle.

Pour moi, Anna Politkovskaïa est un modèle de courage, de force et d’abnégation. Elle représente cette résistance essentielle qui consiste à ne pas se taire face à l’injustice. J’aime aborder des sujets sociétaux et je crois profondément que le théâtre a ce rôle d’éveiller les consciences. Lorsque Caroline Rochefort m’a proposé de mettre en scène le texte de Stefano Massini sur les six dernières années d’investigation d’Anna, je venais d’entamer l’exploitation d’"Après Coup", pièce que j’ai coécrite avec Sandra Colombo et qui traite, en effet, des violences conjugales. Nous avons commencé cette écriture en 2017, juste avant le mouvement #MeToo. Faire exister ce spectacle n’est pas simple : il aborde un sujet lourd, mais qui est devenu d’une brûlante actualité en France. Pourtant, malgré les réticences des producteurs et des théâtres parisiens, je reste convaincue qu’il est nécessaire.


En ce sens, Anna Politkovskaïa est pour moi un exemple à suivre. Elle a dénoncé sans relâche les violences, la corruption, les abus de pouvoir. Elle a donné la parole aux victimes — civils tchétchènes, soldats enrôlés de force, familles russes endeuillées — au risque de sa propre vie. À travers son combat, elle nous rappelle l’importance de la dignité humaine et que la démocratie ne peut exister sans liberté de la presse ni responsabilité des dirigeants. Elle mettait en garde contre ce qui arrive à toute société qui ferme les yeux sur l’oppression et la violence. On peut presque la considérer comme une lanceuse d’alerte, même si à la différence de Snowden et Assange elle ne travaillait pas « à l’intérieur » de l’état. Anna savait qu’elle finirait par être éliminée, elle avait élevé ses enfants dans ce sens, ils étaient préparés à sa mort. Elle a donné sa vie pour mettre en lumière l’obscurantisme étatique. En 2004 lors d’une interview elle dit « Quand Poutine envahira l’Ukraine, qui s’opposera ? ».

Parler d’hier pour mieux appréhender « l’aujourd’hui ». Les faits relatés par Anna pendant la seconde guerre de Tchétchénie sonnent, résonnent, renvoient à l‘actualité dramatique d’aujourd’hui. Mon désir est de souligner la ténacité de cette journaliste dans sa quête de vérité, ses choix, son humanité. Elle connaissait les dangers encourus et était un pilier au centre d’enjeux historiques. Donc je dirais à la fois, éduquer et éveiller. Créer de l’intérêt pour ce qui a été. "Femme non rééducable" est construit comme un hommage à toutes les personnes qui défendent la vérité, la liberté d’expression et la liberté d’informer.

J’ai conçu une mise en scène qui s’éloigne du théâtre documentaire pour offrir une version théâtrale plus classique. Plutôt que de recourir à des projections ou archives, j’ai choisi un plateau épuré où deux acteurs incarnent à la fois Anna Politkovskaïa et les multiples voix qui l’entourent. La direction d’acteur repose sur la distanciation et la prosodie : donner une puissance organique sans pathos, équilibrer urgence et silence, violence et vide. Le jeu s’ancre dans le corps et dans l’énergie, brise régulièrement le quatrième mur et engage le spectateur dans une expérience vivante.

J’ai travaillé les lumières avec François Leneveu, elles sont pensées comme un langage scénique à part entière. Chaque tableau s’ouvre par une annonce visuelle : une projection ou un titre révélé par exemple à l’aide d’une torche ou autre transformant l’éclairage en acte de narration. La lumière aussi devient actrice, révélant des objets, redessinant l’espace, créant des images qui parfois prennent le relais sur le texte. Entre ombre et éclat, le travail des lumières rend perceptible la tension dramatique et l’universalité du propos.

Caroline Rochefort

La pièce se construit par la diversité de ses formes narratives. Les voix se succèdent : la narratrice, les interviews, les pensées intimes d’Anna, la parution de ses articles, mais aussi des bribes d’Histoire qui replacent les événements dans un contexte plus large. Stefano Massini a volontairement laissé une liberté de distribution et d’interprétation de ce texte protéiforme. J’ai voulu rendre la mise en scène rythmée et fluide, faire en sorte que le réel devienne théâtre sans jamais être trahi.

L’espace scénique lui-même est récit. Des accessoires jonchent le plateau – un fauteuil russe, un pupitre, un métronome, des micros, un dictaphone, un carnet, un stylo… – qui s’animent et se transforment en fonction des tableaux. Ils dessinent un paysage mouvant où chaque objet peut, à tout moment, devenir symbole, support narratif ou prolongement du jeu. Le spectateur traverse ainsi un espace vivant, où les corps, les mots, les sons et les objets dialoguent sans cesse.

Je remercie Caroline Rochefort qui m’a proposé ce projet et m’a permis de me plonger dans l’histoire d’Anna Politkovskaïa, que je connaissais très peu. Travailler avec elle et Pierre Berçot a été un vrai partage : une complicité intellectuelle et une ouverture d’esprit qui ont rendu chaque répétition riche, inspirante et joyeusement créative, tout en restant fidèles à nos exigences et surtout avec une volonté forte de ne jamais être à charge.

Enfin, ce travail de mise en scène s’est appuyé sur une solide recherche historique : nous avons mené des lectures, des enquêtes, écouté des interviews, vu des archives et sollicité des spécialistes universitaires de l’histoire russe, j’ai lu les ouvrages d’Anna Politkovskaïa. J’ai également discuté avec des personnes ayant vécu en Russie ou possédant une connaissance intime du pays et de son contexte politique. Ces recherches m’ont permis d’ancrer la mise en scène dans le réel tout en assumant sa forme théâtrale.

Le Théâtre de la Concorde, dirigé par Elsa Boublil, s’affirme comme un lieu démocratique, artistique et citoyen. Sa mission est de faire dialoguer l’art et la société, de créer un espace de débat, de réflexion et de partage où toutes les voix, y compris les plus marginalisées, peuvent être entendues. Sa programmation, pensée comme une réponse aux enjeux contemporains, associe spectacles, rencontres et ateliers afin d’éveiller les consciences et de rapprocher la culture des citoyens.

Ce projet résonne profondément avec la figure d’Anna Politkovskaïa. Elle aussi a consacré sa vie à donner la parole aux invisibles, à dénoncer les violences et les abus de pouvoir, au prix de son propre engagement. Comme elle, le Théâtre de la Concorde place la liberté d’expression, le courage de témoigner et la dignité humaine au cœur de sa démarche. Tous deux rappellent que l’art et la parole sont des actes de résistance nécessaires pour faire vivre la démocratie.

La programmation de scènes ouvertes immersives, qui ouvrent le débat, a éveillé notre intérêt de manière générale. Le 13 février 2025, le théâtre de la Concorde a présenté une soirée thématique organisée par Forbidden Stories, l’organisation internationale de journalistes dont la mission est de poursuivre les enquêtes de reporters assassinés ou emprisonnés. Avec Caroline Rochefort il nous est apparu comme une évidence de parler de notre travail sur "Femme non réeducable" à Elsa Boublil. Elle a accueilli le projet avec intérêt et nous a programmé en octobre 2025 avec des séances gratuites pour les scolaires, ce qui est en total accord avec les valeurs que nous aimons défendre.

Ma pièce "Après-Coup" est en tournée en novembre 2025 en France avec une date parisienne exceptionnelle que je ne peux pas encore communiquer mais qui sort complètement du contexte habituel.

Je communiquerai ultérieurement sur cette date, et j’ai hâte. J’ai joué à Avignon dans Les Rochambelles, un texte de Valérie Demay qui va être présenté en tournée prochainement, un spectacle qui raconte comment la première section féminine militaire d’ambulancière de front a intégré la 2nde DB pendant la 2ème guerre mondiale. Je suis en préparation d’un joli personnage dans une nouvelle série pour France Télévision.

Aussi, j’ai 2 projets en cours d’écriture, mais je n’en dirai pas plus. Mon désir, ou plutôt mon mantra c’est de toujours garder en tête que divertir ce n’est pas abrutir. J’aime faire réfléchir, éveiller, m’adresser au plus grand nombre et faire en sorte que les sujets abordés puissent toucher tout le monde, surtout ceux qui pensent ne pas être concernés.

  • 30/10/25 et 31/10/25: LE LOCLE Théâtre CasinoTP 20H30
  • ​04/1125: THONON (ou EVIAN)
  • 07/11/25: FRANCONVILLE-21h
  • 02/12/25: CHESNAY ROCQUENCOURT Théâtre Nouvelle France-20H30
  • 09/01/26: L'AIGLE-Risle en scène-20H00
  • 17/01/26: GRANS SCENE ET CINES
  • 22/01/26:  SAINT-CLOUD-Les 3 Pierrots
  • 03/02/26: scolaire + soirée -Théâtre de POISSY
  • 05/02 et 06/02/26 option 07/02/26 :CORNEBARRIEU
  • 10/02/26: scolaire + soirée - HAGUENEAU
  • 11/02/26 (option scolaire12/02) - 
  • SAVERNE
  • 05/03/26 - LA FERTÉ BERNARD
  • 06/03/26 - ARGENTAN
  • 12/03/26 - SAINT GAUDENS
  • 13/03/26 - scolaire + soirée - MONTAUBAN
  • 14/03/26 - Villefranche du Rouergue
  • 16/03/26 - 1 ou 2 scolaires - Villefranche du Rouergue
  • 20/03/26 - scolaire + soirée - Le Vallon
  • 24/03/26 - scolaire + soirée - DECINES
  • Le Toboggan
  • 27/03/26 - GUJAN MESTRAS CC Le Miroir
  • 03/04/26 - SENS
  • 10/04/26 - scolaire + soirée - VERNON théâtre Yolande Moreau
  • 07/05/2626 - LIFFRÉ

Photos : Louis-Josse, Vincent Guignet

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Yasmina Jaafar
Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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