LES FÊTES GALANTES D'EMMANUELLE DE BOYSSON

Par
Yasmina Jaafar
6 mai 2013

LIVRE. Délicieux, aérien, dialogué avec grâce, "Oublier Marquise", le nouveau roman d’Emmanuelle de Boysson est une fête. A travers les amours d’une beauté mal mariée et du peintre Watteau, l’auteur restitue d’une plume alerte l’atmosphère d’un pays, d’une époque, les débuts du XVIIIème siècle français. Sur fond de conspiration, de complot et d’enlèvements, la belle Marquise nous entraîne dans un tourbillon de plaisirs et d’audaces. La romancière s’est confiée à La Ruche Média.

Propos reccueillis par Rita Popoulos / Photo : Francesca Jean

"Oublier Marquise" est le troisième volume de votre saga "Le Temps des femmes3" Un pan de l’histoire des femmes se dessine à travers ces trois générations d’amoureuses ?

Emmanuelle de Boysson : Mon roman n’a pas pour but de retracer l’évolution des femmes, mais mes héroïnes et des personnalités de ce XVIIe siècle et ce début du XVIIIe siècle dominés par les hommes ont réussi à faire entendre leur voix. Dans « Le salon d’Emilie », une jeune Bretonne monte à Paris pour devenir gouvernante chez les Latour, place Royale. Futée, elle s’introduit dans le salon de la marquise de Rambouillet et dans celui de Melle de Scudéry. On s’amuse beaucoup dans la Chambre bleue de la marquise. On improvise des bouts-rimés, des madrigaux, on se déguise, on fait venir des ours. On joue les premières pièces de Molière ; La Fontaine et La Rochefoucauld lisent leurs écrits. Au-delà des jeux, l’art de la conversation naît dans ces salons tenus par des femmes. Pas si ridicules, les Précieuses se reçoivent dans la ruelle, autour du lit de la maîtresse de maison. Pionnières, elles réforment la langue, croient en l’amitié hommes femmes, refusent de se marier, favorisent les talents. Melle de Scudéry écrit des romans fleuves parus sous pseudo, la marquise de Sévigné, sa Princesse de Clèves. Madame de Longueville et la Grande Mademoiselle sont des amazones de la Fronde : l’une soulève la Normandie, l’autre prend Orléans. La fille d’Emilie, Blanche, est comédienne dans la troupe de Molière. J’évoque les stars de du théâtre : Marquise Du Parc ou la Champmeslé. Blanche est l’amie de La Montespan, l’impétueuse maîtresse du roi, et de madame de Maintenon, créatrice de Saint-Cyr où des jeunes filles nobles désargentées ont droit à un enseignement incroyablement moderne. Dans « Oublier Marquise », la fille de Blanche, s’impose comme un peintre novateur. Elle sera reçue à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Au-delà de leur succès, mes trois héroïnes s’avèrent des femmes de caractère. Elles se battent pour la liberté, elles vivent des passions, prennent des risques, affrontent les Grands de ce monde : Louis XIV ou Philippe d’Orléans. Déterminées à être heureuses, à réaliser leurs désirs, elles pourraient être des femmes d’aujourd’hui.

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On connaît mal la vie du peintre Watteau. Qu’est-ce qui vous a incité à le mettre en scène dans ce livre ?

E. de B. : Mon idée était de choisir trois artistes : j’ai voulu qu’Emilie soit écrivain, Blanche, comédienne, Marquise, peintre. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux peintres de la fin du règne de Louis XIV, je me suis aperçue qu’ils étaient terriblement ennuyeux, trop académiques. Lebrun, Rigaud, Largillierre ou Coypel peignaient des portraits officiels, figés. Le seul qui se démarquait était Watteau. Depuis longtemps, j’aime ses fêtes galantes ; à 14 ans, j’avais vu L’enseigne de Gersaint à Berlin. Je me suis mise à lire des ouvrages sur lui. Ils m’ont permis de retracer le parcours du jeune homme de Valenciennes, de l’élève du conservateur du Luxembourg jusqu’au succès fulgurant de ce génie, mort à 37 ans. J’ai appris à connaître des aspects de son caractère : instable, exigeant, solitaire, malade des poumons, Watteau changeait sans cesse d’adresse. Les témoignages et les spécialistes ne disaient pourtant rien sur sa vie privée. Etait-il chaste ? J’en doutais : ses toiles dégagent une telle sensualité. De plus, il m’a semblé que le même modèle y apparaît souvent. Intriguée, j’ai commandé un petit livre paru en 1949 « Lueurs sur Watteau ». A partir de ses recherches, l’auteur émet l’hypothèse que le peintre a eu une maîtresse. Peut-être une belle servante ? Elle se serait mariée au grand désespoir de l’artiste. Mon intuition était la bonne ! J’ai imaginé que cette amante, cette muse protectrice était Marquise. Doux, fragile, irrésistible, Watteau a sûrement eu besoin d’une femme qui le comprenne. Dès lors, j’ai pu faire revivre cet homme délicieux dans son atelier, un pinceau à la main. Eblouie, Marquise assiste à la création de Pèlerinage à l’île de Cythère, Assemblée dans un parc, La Finette, L’indifférent, Gilles Légers, mystérieux, les tableaux de Watteau mettent en scène des soldats désoeuvrés, des comédiens, des élégants, des musiciens qui fleurètent, jouent, se dérobent. Il peint le bonheur, la tendresse, le naturel, le temps suspendu, l’ambiguïté des sentiments. On entend de la musique, des froissements d’étoffe. Pris sur le vif, instantanés, les Watteau montrent le mouvement, les non dits. Adulé par Verlaine, Baudelaire et Proust, le peintre de la douceur de vivre a influencé les impressionnistes.

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Visiblement le XVII ème siècle, sa richesse artistique et intellectuelle, ses intrigues de cour vous inspirent, c’est votre époque de prédilection ?

E. de B. : Je suis fascinée par l’époque de Molière, de Racine, de La Fontaine, de la marquise de Sévigné, de Saint Simon… Dans « Oublier Marquise », je me suis amusée à évoquer des personnages hauts en couleur comme la princesse Palatin ou le Régent, ses roués, ses maîtresses, son libertinage, mais aussi sa fille, Joufflote. Marquise a été élevée par Ninon de Lenclos : courtisane, musicienne, pleine d’esprit, elle avait de bons mots : « Les hommes ne meurent jamais de besoin mais souvent d’indigestion ». J’ai adoré rire de la minuscule duchesse du Maine. Orgueilleuse, conspiratrice, elle organisait les folles Nuits du Sceaux et tenait sous sa coupe les chevaliers de l’Ordre de la Mouche à Miel. Sa devise ? « Elle est petite, mais elle fait de profondes blessures ». J’aurais aimé vivre à cette époque. Le seul ennui ? La médecine. Mieux valait éviter les microbes : on pouvait mourir de la petite vérole ou d’une grippe. La descendance de Louis XIV s’est éteinte en l’espace de cinq ans. Les femmes de la noblesse étaient accompagnées de leur médecin, elles se calfeutraient de crainte d’attraper des miasmes. Madame de Sablé se faisait réveiller toutes les heures de peur de mourir dans son sommeil. Je regrette pourtant ce temps des marchés et des ruelles si vivantes : montreurs d’ours, forains, jongleurs, bohémiens, échoppes… ça grouillait. Au lieu de s’envoyer des sms, on se faisait porter des billets. J’aurais adoré recevoir un « poulet » galant et me rendre à un rendez-vous à cheval ou en chaise sur le Cours La Reine ! Etre petite souris et découvrir la Cour de Versailles, la ménagerie de la Palatine, les rituels du roi, les représentations de Molière et, sous la Régence, les femmes en robe panier qui se peignaient les veines en bleu pour faire ressortir la blancheur de leur peau.

Emmanuelle de Boysson : "Oublier Marquise" Flammarion. "Le salon d’Emilie" et "La revanche de Blanche" J’ai Lu.

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