JOHNNY HALLYDAY : LES MÉDIAS ONT-ILS EU RAISON DE LE COMPARER A VICTOR HUGO ?

Par
Yasmina Jaafar
19 décembre 2017

Johnny Hallyday n'est plus ! L'émotion a été prégnante et les médias étaient au rendez-vous. Il y a le temps du sentiment et le temps de la réflexion... Alors une fois le deuil passé, pouvons-nous revenir sur un Nom ? Celui de Victor Hugo ? Les médias ont-ils eu raison de faire une telle comparaison ? Emballement ou objectivité ? Bertrand Naivin, membre du #ClubDeLaRucheMedia et philosophe des médias, apporte une réponse :

Bertrand Naivin

Samedi 9 décembre 2017, la dépouille de Johnny Hallyday descendit les Champs Élysées dans un corbillard vitré, cortège que le manager de la star voulut le plus proche possible des milliers de fans venus pour rendre un dernier hommage à leur idole. Au terme de cette procession qu’accompagnèrent de leurs vrombissements plus de 700 bikers réunis pour l’occasion, le corps de l’artiste fut déposé à La Madeleine pour une cérémonie religieuse au cours de laquelle le président de la République Emmanuel Macron s’exprima pour célébrer cette vedette nationale qui eut droit le 6 décembre à une standing ovation des membres de l’Assemblée Nationale après que son président, François de Rugy ait proclamé d’un ton solennel : « nous avons tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday ». La mort du chanteur se révèle être ainsi un événement, au point qu’une pétition postée sur le site www.change.org demanda à l’Élysée de le faire entrer au Panthéon.

De telles obsèques n’ont alors pas manqué d’inspirer à certains médias un rapprochement avec celles qui le 24 mai 1885 célébrèrent la mort de Victor Hugo et de faire dire à Fabien Lecoeuvre, spécialiste de la chanson française que « la disparition de Johnny Hallyday est aussi importante que celle de Victor Hugo ». En effet, le poète, romancier et polémiste engagé fut le seul avant Johnny dont les funérailles donnèrent également lieu à une descente de la célèbre avenue parisienne, avant de finir au Panthéon où il fut inhumé le 1er juin de la même année.

Mais comment peut-on rapprocher de tels hommes ? Comment au créateur d’une œuvre prolixe et abondante comparer l’interprète de chansons de variété. Comment au solitaire pourfendeur de la peine de mort assimiler un homme de scène qui ne s’engagea pour aucune cause majeure, si ce n’est en chantant aux côtés des Enfoirés en 1989, 1997 et 1998. Est-il vraiment juste de voir en un rocker populaire qui, personnification de la Jet Set tropézienne et du Show business, accumula les villas et les motos américaines et qui partit vivre en Suisse puis en Californie pour payer moins d’impôts l’équivalent contemporain de celui qui, alors député prononça en 1849 à l’Assemblée Nationale un discours contre la misère et qui, contraint à l’exil après le coup d’État de Napoléon III dut partir dans les îles anglo-normandes ?

Si l’on ne peut nier le charisme et le talent de Johnny Hallyday, sa gentillesse reconnue par et pour ses proches et la capacité hors norme qui fut la sienne à passionner les foules et à traverser les âges, les modes et les tendances, gardons-nous cependant de voir en lui davantage qu’un chanteur qui sut faire rêver et donner du plaisir à ses fans et qui participa à la modernisation de la chanson française au cours des années cinquante et soixante.

Dès lors, la disproportion de cette analogie, causée par celle de ces obsèques plus imposantes et médiatisées que n’importe quelle autre star et dépassant de loin celles des hommes d’État eux-mêmes (de De Gaulle à Mitterrand) semble bien révéler une société adoratrice du loisir et du plaisir individuel. Une culture qui se lit moins qu’elle ne se crie et ne se danse dans des stades toujours plus grands et des shows toujours plus impressionnants. Une préférence pour l’interprète hyperbolique dont l’émotion se doit de « crever » l’écran de nos Smartphones (le succès des émissions telles que Star Academy ou plus récemment The Voice l’atteste) et non plus pour l’auteur engagé.

Récemment, l’astronaute Thomas Pesquet a fait lui aussi rêver les Français par une mission spatiale qui devint vite une mise en orbite des soucis et des angoisses de milliers de personnes qui purent ainsi détourner leur attention d’une réalité lestée par un présent en crise perpétuelle et un avenir cataclysmique. De même Johnny Hallyday aura-t-il été la figure même de la « star », un astre capable de faire oublier le temps d’un voyage dans cet espace illimité qu’est la musique et dans ce nouvel Olympe qu’est devenue la célébrité les contingences du réel. L’incarnation d’une société qui deux cent ans après l’auteur des Misérables et son souci du monde, choisit au contraire à présent d’en taire les bruits et d’en maquiller les rides.

Non, Johnny Hallyday n’est pas Victor Hugo !

Bertrand Naivin

Philosophe des médias et de la vie connectée
Enseigne à l’université Paris 8
Chercheur associé au laboratoire AIAC
Auteur de Selfie, un nouveau regard photographique (préface de Serge Tisseron), Paris, L’Harmattan, coll. Eidos, série Photographie, 2016

 

 

 

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