Patrice Franceschi publie "Dernière lutte avant l'aube" (Grasset). Jean et sa sœur Sarah mènent une quête vitale. Chacun peut se retrouver dans les héros de l'aventurier français. Son roman qui lie l'absurde au fantastique, est universel et pousse à la méditation. Courir vers quoi, dans quel but ? Nous lui avons poser la question :
L'absurde est-il le meilleur style narratif pour raconter le réel ?
Je n'en suis pas certain, en vérité... Tout ce que je sais, c'est que pour parler de l'absurde - ce fait essentiel de toute question existentielle - il faut une forme de réel, mais que l'on peut transfigurer ce dernier par l'imaginaire... C'est même mieux. Toutefois, bien qu'étant un roman, "Dernière lutte avant l'aube" reste avant tout un conte fantastique au texte volontairement onirique pour raconter une histoire d'absolu de façon allégorique. J'admets donc, je revendique même, l'accès difficile de ce texte. J'aime l'exigence littéraire. C'est le dernier rempart à l'invasion généralisée du divertissement. D'autant que pour moi, cette histoire est absolument universelle. Même s'il s'agit d'un voyage vers les pays où l'on n'arrive jamais - puisque la vie est un songe....
Jean et sa sœur Sarah sont-ils une allégorie de l'impossible quête ?
Oui, mais ils sont aussi porteur de cette idée que toute course en avant vers des buts trop élevés mène à l'abîme. Autrement dit, trop d'élévation d'âme dans la poursuite d'un but se paie au prix fort. Leur histoire est la quête d'une mer improbable qu'aurait atteint le poète grec Pindare il y a 25 siècles pour y "épuiser le champ du possible" tel qu'il le chantait dans ses vers. C'est une quête personnelle pour transfigurer sa propre vie. Mais avec eux, il y a le captain Ha ha et sa bande de forbans embarqués sur le cargo "Hourra". Eux, se prenant pour de modernes argonautes, sont part de par le vaste monde à la poursuite de la lance de Don Quichotte pour "réparer le monde", comme essayait de le faire le "chevalier à la triste figure". Les deux quêtes, complémentaires mais impossibles ensemble, forment la trame du livre jusqu'à ce qu'elles se séparent et nous laissent juste avec Jean, sa sœur Sarah et Mathilde, la vieille dame qu'ils suivent dans sa quête. D'une autre manière, je pourrais dire.
Marin et écrivain, vous explorez le monde des frontières entre de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de l'Iran... quel idéal poursuivez vous ? Quelle est votre quête pour faire référence aux héros de votre conte fantastique ?
À vrai dire, ce que cherchent les héros de mon livre est ce qu'il m'intéresserait de chercher si je pouvais être à leur place, dans un monde fantastique. Je fais de mon mieux, là où je suis, en servant les causes qui me semblent juste, de celle des Kurdes de Syrie à celle des Arméniens. En arrière-plan de tout cela il y a bien sûr, l'idée de liberté à toujours défendre. Quoi qu'il en soit, j'aime la forme de folie qui habitait Don Quichotte et j'ai essayé de la transmettre dans mon livre. Elle imprègne, en fait, tout ce qui s'y passe. A mes yeux, on ne vit vraiment, pleinement, qu'emporté par des buts plus grands que soi. Il faut juste accepté d'en payer le prix que l'on sait élevé.
Vous écrivez : "Au quatrième jour, nous étions accumulés à l'absence de soleil, au cinquième, nous avancions d'une même ardeur, mais sans hâte non plus ; nous ménagions nos forces nos forces incertains de nos efforts à venir". Pourrions-nous dire de même quant à la marche du monde ? Une incertitude commune qui nourrit la peur et attise les tensions ?
Nous pourrions le dire sans peine. C'est bien l'avantage, parfois, dans ce genre de fable à portée philosophique, de s'exprimer par allégories. Comme dans les vieilles légendes, l'auteur donne au lecteur toutes sortes de clefs pour déchiffrer les multiples entrées de son livre. C'est bien le cas avec le récit labyrinthique de "Dernière lutte avant l'aube".
Parlez-nous de votre prochain livre à paraître à la rentrée ?
Mes éditeurs, que ce soit Grasset, Plon ou Gallimard, me reprochent de trop écrire... C'est un reproche sans fondement. Un écrivain n'écris jamais assez. D'autant que bientôt, l'IA Générative prendra si bien sa place qu'il faudra instituer un label "garanti dans IA" pour les livres écris par de seuls humains. Du "bio" en quelque sorte. Nous n'en sommes pas encore là mais le prochain livre est une participation à un ouvrage collectif sur l'exploration, chez Robert Laffont, le 11 septembre, intitulé : "Repousser les limites".