EMMANUEL MACRON/MARINE LE PEN ET LEUR AFFICHE... LE DÉCRYPTAGE DU PHILOSOPHE DES IMAGES BERTRAND NAIVIN

Par
Yasmina Jaafar
24 avril 2017

Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont donc les deux finalistes. RDV le 7 mai pour connaître l'issue. En attendant, le philosophe des médias, Bertrand Naivin, décrypte pour le Club de la Ruche / laruchemedia.com leur affiche électorale. Que disent-elles de ces deux candidats ?

"Méfions-nous donc de cette rose qu’a choisie la présidente du Front National comme emblème."

Réponse :

Par Bertrand Naivin

Très serré. Trop serré. Le premier tour de cette élection présidentielle s’est donc achevé sur cet improbable couple. D’un côté, un jeune (à peine) quadra, plein d’énergie et inconnu il y a encore trois ans de la scène politique. De l’autre, ce néolepenisme au regard clair et au sourire avenant (sur l’affiche tout au moins). Chez les deux, une incarnation revendiquée du re-nouveau. On peut en effet s’interroger sur ce « nouveau » qui semble être répété à chaque élection depuis les débuts de la Cinquième République et le « trop » historique Général De Gaulle.

Mais penchons-nous sur l’affiche électorale de ces deux « finalistes » (je reprends ce terme utilisé communément dans les médias tout en m’interrogeant sur cette transformation de nos élections en un jeu).

Point commun intéressant, leur affiche les montrent face à nous. Ils y abandonnent ainsi le traditionnel buste en biais repris par les autres candidats. Doit-on y voir l’envie de donner l’impression aux électeurs qu’ils feront « face » à la réalité lorsque les autres ne la verraient qu’au travers des transcriptions biaisées de l’appareil politique ?

Continuons. Avec Emmanuel Macron tout d’abord. Celui-ci nous fait donc face, certes, mais intéressons nous à son regard. Celui-ci ne nous fixe pas (contrairement là encore aux autres candidats à l’exception de Jean Lassalle qui fixe un lointain pyrénéen). Ses yeux semblent au contraire portés vers un point que lui seul semble percevoir, l’air inspiré. Ils sont pour cela légèrement levés, comme si son regard distinguait derrière nous qui regardons l’affiche un à-venir à construire, une « marche » à suivre. Ce procédé n’est pas nouveau (pensons à la campagne de François Mitterrand de 1981 ou celle de Nicolas Sarkozy de 2012). À ceci près que le jeune fondateur du mouvement En Marche ! regarde résolument derrière et au-dessus de nous. Peut-être pour pourfendre le traditionnel clivage gauche/droite français par la revendication d’un « droit-devant ».

Dès lors, s’il ne nous regarde pas dans les yeux, s’il prend cette hauteur, sans doute est-ce pour donner l’assurance aux Français qu’il compte bien les emmener vers un « à-faire ».

Que dit maintenant celle de Marine Le Pen ? Un message très simple : « Je suis là… Et j’arrive… » Se penchant vers nous et nous fixant de ses yeux clairs et rieurs, sûre d’elle-même, elle paraît nous assurer de l’évidence de sa victoire – cette année, dans cinq ans, dix ans ?

Espérons donc que Emmanuel Macron réussisse à offrir à la France une marche salutaire et la comblera. Sinon ? Sinon ce nouveau visage d’une extrême droite adoucie et normalisée continuera de s’avancer jusqu’à réussir en 2022 à sortir de l’image (cette tradition des affiches qui maculent et contaminent les murs de nos villes, de nos campagnes et maintenant d’Internet avec Facebook) et du cadre dans lequel les médias et les partis dits « de gouvernement » pensaient jusqu’à présent réussir à la cantonner : celui du « monstre ». Jean-Marie et Marine étaient alors l’ogre et la sorcière contre lesquels se bâtissait notre démocratie. Contre-exemples absolus, ces figures du « Mal » étaient devenues ce par quoi pouvait se définir une certaine norme républicaine, étant vrai que l’on sait ce que l’on est en prenant conscience de ce que l’on n’est pas. Un joli conte écrit depuis des années par les médias, en bons raconteurs d’histoire et – pensons à Marshall Mc Luhan - faiseurs de messages.

Oui mais voilà. Aujourd’hui, cet « extrême » ne parait plus si extrême que cela. Marine Le Pen dévoile alors une enfance compliquée à Karine LeMarchand, les rangs du FN –autrefois garnis de néonazis, de nostalgiques de l’Algérie française et de skinheads - comptent désormais des diplômés de l’ENA ou de HEC, ses militants et sympathisants ne cachent plus leur adhésion mais revendiquent, et sa victoire de dimanche n’étonne plus.

Si tout conte repose donc sur le juste équilibre que forme le très gentil – l’enfant et sa pureté – et le très méchant, qu’en est-il lorsque le loup sauvage semble y devenir un chien de bonne compagnie ? Celui-ci arrive à tromper la Mère Grand et à dévorer le Chaperon rouge que les chasseurs ne peuvent plus sauver, s’étant débarrassés de leur fusil parce qu’ils ne croyaient plus au danger. Méfions-nous donc de cette rose qu’a choisie la présidente du Front National comme emblème. Car si sa forme rappelle étrangement un fleuret prêt à transpercer le cœur de notre République, ne croyons pas cette affiche qui la montre dénuée d’épines. Elles y sont au contraire, et nombreuses…

Oui méfions-nous. Car à la différence des contes, le réel ne connaît pas que des fins heureuses. Espérons alors que cet amoureux des livres que semble être Emmanuel Macron (c’est en tout cas ainsi que le présente l’hebdomadaire Le 1 dans Macron par Macron, paru aux éditions de l’aube cette année) parvienne à maintenir la louve nationale dans les pages de sa fable.

Alors ? En Marche ! ou au Front ?

Bertrand Naivin

Philosophe des médias et de la vie connectée
Enseigne à l’université Paris 8
Chercheur associé au laboratoire AIAC
Auteur de Selfie, un nouveau regard photographique (préface de Serge Tisseron), Paris, L’Harmattan, coll. Eidos, série Photographie, 2016

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