Brexit, Trump, Fillon… les dernières élections ont toutes révélé un échec cuisant des instituts de sondage et des médias politiques dits « traditionnels » qui semblent être devenus des Cassandre grippées.
Mais alors que la remise en cause de certains journalistes quant à leurs méthodes de jauger et prédire les intentions de votes qu’ils jugent dépassées se multiplient (cf France Culture qui le vendredi 16 décembre consacra plusieurs de ses émissions à cette nouvelle donne électorale), peut-être pouvons-nous considérer cette évolution comme relevant de notre néomodernité 2.0.
N’oublions pas en effet que les premiers sondages virent le jour lorsque la télévision commença à s’inviter en politique. Désireux de connaître au mieux l’électeur pour devancer ses demandes et ses besoins, les sondages allaient ainsi révéler un nouveau rapport du politique au peuple. Autrefois chef ou guide, l’homme politique devint alors vendeur d’un programme censé répondre aux aspirations sociétales et économiques du moment au détriment trop souvent d’une visée post-mandat, chaque gouvernement se sachant dès son élection condamné à une sorte d’obsolescence programmée, certain d’être remplacé par son contraire une fois son temps fait.
Le régime télévisuel du politique impliqua ainsi un zapping électoral organisé et « cadré » par les instituts de sondage et les médias. Dans l’isoloir comme devant son poste de télévision, le consommateur politique se mit dès lors à passer d’un candidat à l’autre comme il zappait déjà d’une chaîne à l’autre.
Mais si ce zapping électoral peut trahir une certaine inconstance propre à une postmodernité où tout devint produit de consommation et de loisir fugace, il limitait l’électeur à un certain nombre de possibilités entre lesquelles celui-ci était invité à choisir. Faisant en amont le tri entre les « petits » et les « grands » candidats, les sondages et les médias pouvaient en cela être vus comme une sorte de télécommande sur laquelle les partis dits « de gouvernement » étaient les premières touches lorsque les autres plus marginaux se partageaient le reste des boutons comme autant de chaînes moins souvent visitées et plébiscitées que les grands groupes d’une pensée mainstream.
Ce temps semble cependant être révolu. La « zappette » a laissé place au smartphone sur l’écran duquel le doigt de l’électeur 2.0 glisse pour passer d’un site d’actualité – ou d’ « hyper-news » comme FranceInfo: - à un autre, d’un texte à une vidéo, mais aussi d’une information officielle à une autre plus marginale. De sorte qu’il ne se laisse plus conduire par les « faiseurs d’opinion » d’une aire à une autre mais surfe désormais en plein océan, porté par les vents et privilégiant de plus en plus les courants contraires.
L’électeur 2.0 est ainsi comme sa page Facebook : un flux d’intentions et d’avis qui s’actualise sans cesse au risque de perdre toute vigilance et toute cohérence. Une inattention qui pourrait bien un jour faire dériver notre surf vers ces courants qui n’ont jamais dévié, ces tourbillons qui par leur mouvement centripète emmènent tout élément vivant vers un gouffre stérile, celui de l’ « entre-moi ».
Alors en 2017, lorsque viendra l’heure de choisir entre François, Marine et tous les « nouveaux » autres, cessons de surfer et posons-nous enfin pour penser l’après-demain.
Bertrand Naivin