L'ultra-gauche : une histoire nouvelle. Christophe Bourseiller nous aide à mieux comprendre cette résurgence.

Par
Yasmina Jaafar
9 février 2021

Christophe Bourseiller, journaliste et historien spécialiste des mouvances extrémistes, se penche une nouvelle fois sur l'histoire de l'ultra-gauche. Son dernier livre "Nouvelle histoire de l'ultra-gauche" (ed. du Cerf) est un éclairage important à une époque où l’incertitude règne et où la nuance manque. Pourquoi ces mouvements reprennent-ils vie ? Quelles sont leurs idéologies ? Qu'est-ce que cette renaissance forte dit de notre société ?... Réponses :

Quelles sont les différences entre "extrême gauche" et "ultra-gauche" ?

On a tendance aujourd’hui à tout mélanger et l’on se trompe. On parle à tort et à travers de l’ultra-gauche, en la considérant comme un simple synonyme de l’extrême gauche. Or, ce n’est pas du tout le cas. Qu’est-ce que l’extrême gauche ? C’est une étiquette, que l’on accole à un grand nombre de courants politiques qui ont pour point commun de militer pour un changement radical de société menant au communisme et qui veulent y parvenir par la violence. On observe maintenant dans l’extrême-gauche deux grands ensemble : il y a d’abord les autoritaires, ou léninistes, pour qui la révolution doit être accomplie par un parti communiste dirigeant le prolétariat : on classe ici les trotskistes, les maoïstes, les stalinistes, entre autres. En face, il y a les autoritaires. Dans cet ensemble, on place un vieux courant, les anarchistes, ainsi qu’un phénomène plus récent : l’ultra-gauche.

L’ultra gauche est ainsi pour résumer un courant marxiste anti-autoritaire, qui existe en tant que tel depuis 1920, date à laquelle il s’est constitué dans le but de former une opposition de gauche à Lénine, qui dirigeait alors la Russie soviétique.

Quel âge a le mouvement ultra-gauche ?

Faisons les comptes : le phénomène de l’ultra-gauche a au moins 101 ans. Ça n’a vraiment rien de nouveau.

Quelles sont leurs bases et ADN idéologiques et qui sont leurs grands penseurs ?

Leur histoire politique est passionnante. L’ultra-gauche a été élaborée par de grands penseurs, tels Herman Gorter, Otto Rühle, Anton Pannekoek, Cornelius Castoriadis, Claude Lefort, Guy Debord ou Raoul Vaneigem. Depuis leur apparition en 1920, les « ultra-gauches » n’ont pas cessé de se livrer à un fascinant labeur critique : ils ont d’abord remise en question le léninisme, puis le bolchevisme, puis le marxisme, puis la politique elle-même, avant de mettre en lumière les rouages de la société contemporaine. Prenez Castoriadis : c’est un des grands penseurs du totalitarisme. Prenez Claude Lefort : c’est un grand théoricien de la démocratie. Prenez Guy Debord : il a braqué les projecteurs sur les rouages de nos sociétés prétendument transparentes. Le bilan est fascinant.

Il faut bien saisir que les jeunes autonomes constitués en « black blocs » en bordure des manifestations sont les héritiers de cette riche tradition. Ce ne sont surtout pas des écervelés.

En effet, qui sont les Black Blocs ?

Leur histoire est complexe. Au départ au XXe siècle, les « ultra-gauches » sont principalement des théoriciens. Mais à partir des années 1960, on voit apparaître au sein de l’anarchisme un courant « marxiste libertaire », qui se rapproche de l’ultra gauche. Or ces nouveaux venus sont des activistes. Ils se radicalisent dans les années 1970. Le premier pillage et la première apparition des « casseurs » remonte à 1971. A partir de 1975, ces « marxistes libertaires » se désignent comme « autonomes » car ils refusent toute étiquette. Depuis lors, il n’y a pas une seule manifestation étudiante, lycéenne, syndicale, ou tout simplement de gauche, sans un « black bloc », un bloc autonome qui se forme en générale devant le cortège. Les « Black Blocs » ne constituent pas une organisation. Il s’agit en réalité d’un mode d’action visant à déclencher la violence.

Comment expliquer leur renaissance ?

Par-delà le phénomène des « Black Blocs », la renaissance de l’ultra-gauche au XXIe siècle s’explique par l’engouement pour les thèses écologistes. L’ultra-gauche se positionne en pointe, puisqu’elle prône un écologisme radical, selon lequel on ne peut sauver la planète qu’en détruisant le capitalisme. La grande originalité, c’est toutefois l’élaboration dans les années 1990 de « zones d’autonomie temporaire », qui sont des zones temporairement « libérées » du capitalisme. Les ZAD, que l’on voit fleurir aujourd’hui sont des créations directes de l’ultra-gauche. « ZAD » signifie d’ailleurs aussi bien « Zones à défendre », que « Zones d’autonomie défensive », ou « Zones d’autonomie durable ». Les zadistes de 2021 sont ainsi les héritiers des spartakistes de 1919, ou des Enragés de 1968.  

Y a-t-il des ponts intellectuels entre l'extrême droite et l'extrême gauche ? Ou sont-ils aux antipodes ?

Il peut toujours y avoir ponctuellement des convergences tactiques. Les deux extrêmes s’accordent sur le rejet de ce monde. Pour le reste, elles divergent sur le fond. Pour l’extrême-gauche dans sa pluralité, tous les humains naissent égaux. C’est la société qui creuse ensuite les différences. Le but final est le communisme, une société sans chefs dans laquelle règne une totale égalité. Pour l’extrême droite au contraire, il existe dès la naissance des inégalités naturelles. Il s’agit de créer un ordre nouveau respectant ces inégalités naturelles.

Dans quelle région de France l'ultra-gauche est-elle la plus présente ?

Il existe des bastions liés à la présence des ZAD, qui constituent des bases arrière et des sites d’entrainement paramilitaire. On pense notamment bien sûr à Notre-Dame des Landes. Il est clair que Nantes et Rennes sont des pôles d’agitation.

Vous écrivez qu'une haine de la démocratie les anime. Quel modèle proposent-ils ? Quels espoirs fondent-ils ?

Les « ultra gauches » se considèrent comme les ennemis ultimes de ce monde. Ils n’ont pas de stratégie politique. Ils cassent, pour donner l’exemple. Le scénario idéal est le suivant : les autonomes s’en prennent aux symboles du capitalisme, de l’autorité, de l’État. Ils pillent certains magasins, attaquent les policiers, vandalisent les lieux publics. Leur objectif, c’est la contamination : il s’agit de montrer la voie aux travailleurs. En théorie, ceux-ci pourraient imiter les autonomes. Ils déclencheraient de gigantesques émeutes et finiraient par s’emparer de l’Élysée. Bien loin de prendre le pouvoir, ils instaureraient spontanément une société communiste, bâtie sur le pouvoir international des conseils ouvriers. Les conseils ouvriers, ce sont des assemblées générales de travailleurs. Vous voyez qu’on est dans un schéma qu’on peut juger utopique.

En 2003, vous annonciez la fin de l’histoire, "une mort certaine avec le 20ème siècle" de l’ultra-gauche. En 2021, quel avenir préconisez-vous à ce mouvement ?

L’ultra-gauche a toujours été minoritaire. Il existe actuellement en France une « gauche libertaire » d’environs trois mille personnes, qui ne sont pas organisées dans des groupes structurés, mais qui se regroupent dans des collectifs informels, tel par exemple « Les Ingouvernables ». Sur ces trois mille activistes, on décompte un peu moins de mille « casseurs ». Il s’agit d’un phénomène très visible, mais très minoritaire. Par ailleurs, je précise que la police n’ignore rien de ces collectifs.

Étiez-vous un jeune ultra-gauche ? Quel souvenir gardez-vous de ces jeunes années ?

Entre 15 et 20 ans, j’ai en effet été communiste libertaire, puis « ultra-gauche. Je vous rassure : je n’ai jamais rien cassé. Mais j’appréciais la radicalité de ce courant, qui incarnait à mes yeux une critique de gauche de la gauche. Contrairement à la majorité de l’extrême gauche, l’ultra-gauche n’a soutenu ni l’URSS, ni la Chine de Mao, ni l’Albanie stalinienne, ni Cuba, ni Che Guevara, ni les Vietcongs, ni les Khmers rouges. Elle a été la première à dénoncer « la terreur sous Lénine » et les totalitarismes. La description que Guy Debord fait de notre monde me paraissait en outre juste.

Depuis lors, j’ai grandi, j’ai vieilli et j’ai fini par comprendre que le pouvoir international des conseils ouvriers risquait de virer rapidement à la tyrannie.

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