Après son plaidoyer féministe "La Paix des sexes" (2021), Tristane Banon, issue des trois cultes monothéistes, partage son regard sur ce que la religion provoque en l'humain. L'essai "Le Péril Dieu" (l'Observatoire) s'adresse aux universalistes de confession. Il ne blâme pas les croyants juifs, chrétiens ou musulmans, mais il pointe les radicaux, les extrémistes et tous les fondamentalistes qui annulent les femmes pour imposer une supériorité supposée et un ordre social.
Rencontre :
Vous vous livrez beaucoup dans votre dernier ouvrage "Le péril Dieu". Avez vous souhaité un mixe entre essai et biographie ?
Je n’ai rien voulu. Je n’ai jamais intellectualisé ou calculé ma démarche en ces termes-là, disons plutôt que ça a toujours été ma façon de faire. Depuis mon premier essai, il y a vingt ans, jusqu'à ce dernier livre, j’ai toujours voulu rendre accessible mon propos au plus grand nombre. Plus celui-ci est ardu, plus l’exercice est compliqué. En me détachant des traditions universitaires, ou seulement parfois très austères, de certains essais (que j’adore lire par ailleurs), en incarnant les miens, j’essaie de rendre mon propos plus concret. Je pense que j’y gagne en accessibilité, sans doute aussi que j’y perd en respectabilité aux yeux des puristes. Je ne sais pas. Je suis un peu hors-les-clous.
Combien de temps vous a demandé cette étude théologique des 3 religions monothéistes ?
L’étude fut longue, la rédaction de l’ouvrage…pas tant que ça! Le vrai travail, il se passe en amont, en lectures, en organisation des idées, en discussions avec des chercheurs, des historiens, des théologiens, des philosophes, d’autres essayistes aussi. Le travail le plus chronophage, c’est l’étude de la documentation sur le sujet et la lecture des textes et de leurs exégèses. C’est deux ans de travail en amont et deux mois d’écriture intensive.
Ces religions, doivent-elles être évolutives ?
Tout dépend des points de vue, et c’est bien le nœud du problème. Plusieurs théories s’opposent sur le sujet. Plus vous aurez une vision séculaire, libérale et moderniste de la religion, plus vous la voudrez évolutive. Plus vous serez traditionaliste, fondamentaliste, radical et intégriste, plus vous penserez que, tout au contraire, la religion doit être appliquée et pensée comme à son origine, à sa conception, sans ne jamais rien bouger de ce qui a été décidé alors. Et c’est pourquoi j’ai voulu écrire ce livre, raconter l’origine du sexisme des religions, l’histoire de certaines lois prétendument voulues par Dieu, et démontrer, de façon presque scientifique, que vouloir appliquer en 2023 des règles décidées il y a des centaines d’années, au cœur de sociétés éminemment patriarcales (et j’en explique les raisons et les origines), est indigne. Il faut remonter le fil de l’histoire pour comprendre le risque absolu et mortifère que font courir les intégristes, de quelque religion que ce soit, sur les femmes. La religion doit savoir évoluer, et bien des religieux le savent, l’espèrent et l’attendent, il en va de l’égalité entre les êtres humains. Ni plus, ni moins.
Quelle différence faites-vous entre le voile porté ici en France avec celui porté en Iran ?
Entre les voiles ? Aucune. Le caractère sexiste du voile ne change pas en passant les frontières. Sa symbolique, telle que voulue dans le Coran, demeure inchangée. Je fais en revanche une différence fondamentale entre les femmes iraniennes et les femmes françaises : les premières vivent sous le joug d’une théocratie liberticide, le régime islamique d’Iran, les secondes vivent dans une démocratie qui a consacré la liberté et l’égalité, la République française. Quand on compare le voile en France et le voile en Iran, on ne compare pas des voiles différents, on compare deux régimes politiques différents. Le voile obligatoire d’un côté, la liberté de porter le voile de l’autre. Et tout ce que l’un et l’autre signifient. Mais les cinq versets du Coran qui mentionnent le voile sont très clairs quant au symbole de soumission qu’il représente. Le voile est un vêtement sexiste, le Coran ne dit rien d’autre. En revanche, il existe des femmes qui, en France ou ailleurs, portent le voile pour d’autres raisons que pour marquer leur appartenance à leur mari, comme le dicte le Coran (nombre d’entre-elles ne sont d’ailleurs même pas mariées). Ça n’en change pas pour autant la signification sexiste du vêtement. Historiquement, le voile est aussi la preuve d’une emprise territoriale de l’Islam. Dans ce cas, la femme est instrumentalisée à fin de prosélytisme et d’expansion territoriale. Là aussi, j’ai voulu documenter les choses précisément dans mon livre.
Votre regard sur la contestation courageuse des iraniennes ?
Le courage des femmes iraniennes (soutenues par les hommes) qui retirent publiquement leur hijab, qui le brûlent et vont cheveux au vent, au risque de leur vie et d’une répression barbare par le régime islamique en place, force le respect. J’aurais aimé voir des femmes voilées françaises participer au mouvement mondial de ces femmes voilées volontairement dans des pays libres et qui ont fait le choix de marquer leur solidarité avec les femmes iraniennes en se filmant retirant leur hijab. À ma connaissance, il n’y en a pas eu, ou très très peu.
Le féminisme est donc votre religion ?
Le féminisme, l’universalisme, le combat pour l’égalité en général… l’humanisme, en somme. Mais là aussi, sans jamais tomber dans la radicalité, ni l’intégrisme, en tout cas je m’y emploie. C’est une ligne de crête, la recherche d’un équilibre constant. Mais je suis une pratiquante assidue !
C'est la religion utilisée comme arme politique que vous dénoncez. Ce la dit, le titre "Péril Dieu" montre que vous voyez quelques vertus positives au fait de croire. Lesquelles ?
J’aurais adoré croire en Dieu, en n’importe quel Dieu. J’ai essayé, longtemps, de toutes mes forces. D’abord parce que je pense que c’est une aide extraordinaire dans la vie, mais aussi parce que c’est une béquille dans l’épreuve. La religion donne des règles de conduite, certaines valeurs, un sens à l'existence. Et puis elle vous fait membre d’une communauté, c’est confortable et sans doute rassurant. Surtout, elle vous console de la mort, de la finitude de l’existence. Évidemment qu’il y a des vertus à la religion, Spinoza l’a très bien expliqué avant moi, et c’est pourquoi je le cite très tôt dans Le péril dieu. Je trouve qu’il a une vision très juste de la question religieuse. Avec ce livre, je ne fais pas le procès de la croyance, je fais celui des marionnettistes de droit divin qui l’ont instrumentalisée à travers le temps, et qui continuent aujourd'hui. Aussi celui de celles qui se disent féministes et qui refusent de se cogner à la religion sous prétexte de ne pas heurter des croyants. C’est pour prouver l’incongruité de la posture que je retrace l’aventure féministe depuis ses débuts. Si les féministes qui nous ont précédés s’étaient encombrés des mêmes craintes, les femmes françaises seraient amputées de beaucoup de leurs droits, à commencer par le droit à l’avortement.
Tristane Banon, Le péril Dieu, 256 p., 20€