Le réalisateur Jack Garfein raconté dans le merveilleux documentaire de Tessa Louise-Salomé : "Son regard sur le monde moderne fait presque oublier le traumatisme de la Shoah, le moment où sa vie a basculé".

Par
Yasmina Jaafar
4 mai 2023

Jack Garfein n'est encore qu'un petit garçon quand il est envoyé dans les camps. Il en réchappe et comprend que la création est acte de survie. Tessa Louise-Salomé l'a rencontré. Elle signe un documentaire cinématographique émouvant qui nous dit tout sur l'artiste définitivement résilient et sur le processus de fabrication du film raconté par William Dafoe. En salle le 10 mai, The Wild One est la vision d’un homme sur la vie, le cinéma, la Shoah.

Rencontre :

Comment et quand avez-vous rencontré Jack Garfein ?

J’ai eu la chance que la productrice franco-américaine de Wes Anderson - Octavia Peissel - pense à me le présenter. Je l’ai rencontré pour la première fois en tête à tête en 2015 dans le 19ème non loin de son studio d’acting. J’étais interloquée par ce petit bonhomme, âgé mais tellement vivant, volubile, drôle et par sa trajectoire. Chaque période qu’il a connue est un moment de l’histoire du 20ème siècle et de celle du cinéma. Son regard sur le monde moderne fait presque oublier le traumatisme de la Shoah, le moment où sa vie a basculé.

L’idée de raconter son histoire est-elle venue immédiatement ?

Je sortais de la production de mon film Mr. X le cinéma de Leos Carax sur réalisateur français dont le caractère, la créativité - semblait jaillir de la nuit, de l'inconscient. Quand j’ai rencontré Jack, c’était l’opposé, malgré son passé, il émanait de lui la lumière… Ça m’a happée et sortie de ce premier film et de l’œuvre de Carax dans laquelle je m’étais immergée totalement…

Je visionne alors ses deux et uniques films, « The Strange One » (1957), puis « Something Wild » (1960). Je suis tout suite emportée par la noirceur et la complexité des personnages, par la modernité dans la mise en scène. L’audace et l’avant-gardisme de l’auteur me bouleversent. Mais je découvre également chez ce cinéaste talentueux, torturé, ombrageux, un propos hautement politique. Ses films, contemporains de « Psychose » d’Hitchcock et de « La Source » de Bergman, abordent les thèmes du fascisme, des rapports de pouvoir et de leur perversité, l’univers militaire, la ségrégation raciale, la manipulation mentale, le viol : en un mot, les diverses façons qu’a le pouvoir de s’approprier la réalité psychique des individus. 

Quel élément de sa vie vous a le plus touché ?

Cet instinct suprême de survie et ce désir profond de liberté qui est à la base de sa trajectoire personnelle et des sujets de ses films, autant qu'il est au cœur de la manière dont il les traite.

Ce qui m’a aussi toujours étonnée c’est ce gamin qui arrive à New York, orphelin à 15 ans, sans parler un mot d’anglais et que l’on retrouve quelques années plus tard, à peine 10 ans, à Hollywood, dirigeant son premier film avec Ben Gazzara…

Comment avez-vous travaillé pour équilibrer la narration entre son expérience des camps et sa vie à Hollywood ?

Et bien justement ça a été un vrai jeu d’équilibriste. La première partie du montage s’est déroulée à distance avec le monteur du film Simon le Berre, pendant les différents confinements. Puis j’ai tout de suite voulu créer une narration non linéaire - entrelacée- qui était pour moi plus proche de Garfein. Quand tu le rencontres, ses souvenirs jaillissent pêlemêle, Hollywood, la guerre, Marylin, le kapo qui lui a sauvé la vie… Dans le montage final, j’ai essayé de glisser d’une période à l’autre de sa vie pour que la trame narrative du film ressemble au personnage.

Combien de temps vous a demandé la fabrication de The Wild One ?

La fabrication du film a été long processus. D’abord quand je l’ai rencontré j’ai été tout de suite saisie par son personnage. Tout en lui appelait un film : ses origines tragiques, son panache individuel qui a défié l'histoire, son talent et son caractère incendiaire, ses deux films méconnus mais très puissants, trop pour l’époque. Filmer son histoire, c'était saisir le monde - tel qu'il l'a vécu, assoiffé de liberté,

Mais j’ai vite été submergée par la quantité d’informations, d’événements, d’histoires qu’il te délivre… Tellement de fils qui se croisent, l'Europe de l’Est d’avant-guerre, l’holocauste, le rêve américain, le cinéma indépendant, le théâtre moderne. Le plus difficile a donc été de choisir par quel angle le raconter.

Ensuite il a fallu convaincre tout le monde, les institutions, les financiers, l’équipe de m’accompagner pour raconter l’histoire de ce personnage hors du commun mais inconnu car mis de côté par l’histoire.

Vous en êtes aussi la productrice. Pourquoi ? Les producteurs n'ont-ils pas été suffisamment curieux ou courageux ?

Produire ça veut aussi dire être libre. Cela peut être parfois difficile de faire les deux mais aussi très stimulant – pour moi - de réaliser et produire en même temps. J’ai engagé le développement du film très vite, car il n’y avait pas de temps à perdre :  quand j’ai commencé à filmer Jack il avait déjà 87 ans. Mais il est vrai que c’était un pari. Produire pour le cinéma un documentaire sur un inconnu du grand public ! La route a été mouvementée.

Que devons-nous retenir de ce grand Monsieur ? Vos choix, ses traces ?

Tout art – qu’il s’agisse de théâtre, de cinéma, de peinture ou de littérature – est, par essence, un acte de résilience. C’est ce message qui résume la vie et l’œuvre de Jack. En tant que survivant de l’Holocauste, il a vu l’Amérique de l’après-guerre à travers le prisme de ce qu’il avait enduré. Le message qui résonne dans son œuvre est que nous devons rester attentif à la perversité des systèmes de pouvoir... Ce que j’aimerais que les spectateurs retiennent, ce n’est pas seulement l’œil critique et l’esprit intrépide de cet homme, mais aussi sa générosité, son appétit pour la création, sa joie de vivre en dépit de l’horreur traversée dans son adolescence et sa conviction que c’est exactement là que se trouve la raison d’être de l’art ainsi que sa capacité à discerner la beauté de la complexité humaine.

Votre documentaire a des accents de long-métrage de fiction. Un style, une patte de réalisatrice cinéma. La fiction pure est-elle dans vos projets ? Et quel thème aimeriez-vous développer ?

Je travaille à l’adaptation d’un conte qui j’espère sera mon prochain film. J’en suis encore au stade de l’écriture.  Les thèmes : l’exclusion la dissidence, la magie, l’initiation !

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