Raphaël Enthoven - Albert Camus : "Camus a eu des lecteurs, quand Sartre a eu des commentateurs. Chacun son truc."

Par
Yasmina Jaafar
14 novembre 2023

"Albert Camus est le meilleur ami des gens qui se lèvent le matin, alors qu’ils ne croient en rien" annonce la présentation du spectacle CAMUS par Enthoven. L'écrivain, toujours juste en son temps, est à découvrir sans cesse. C'est ce que pourront faire les Français puisque le spectacle est prolongé à Paris, à la Scène Libre jusqu'au 18 décembre et part en tournée dans toute la France ensuite. Nous avons rencontré l'auteur et acteur de la pièce, Raphaël Enthoven :

Quel âge avez-vous quand vous découvrez Albert Camus ? Et depuis combien de temps l'idée de ce spectacle vous taraude ? 

J’ai découvert Camus à treize ans, par la lecture, bizarrement déceptive, de l’Etranger (je trouvais le héros froid et sans affects). J’ai aussi lu ses autres romans, sans être bouleversé. C’est l’année de l’agrégation et l’année suivante, quand il fallut s’inscrire en thèse, que Camus a refait son apparition dans ma vie pour ne plus jamais en sortir. Je découvris, en le lisant, qu’une pensée faussement décriée était en fait une somptueuse tentative de fonder la morale sur l’expérience, et de traverser l’existence sans jamais se sentir l’âme d’un juge. Enfin, j’ai lu « Noces », un texte de jeunesse qui est aussi le plus beau poème en prose qui soit. Et je n’ai pas cessé de le relire ensuite.

"Au cœur de la révolte, dort un consentement". Est-ce à dire que l'essentiel est le consentement et l'acceptation ? Que sans eux, la révolte est vaine ? 

Oui, mais le « consentement » dont il parle n’est pas la résignation. Il ne s’agit pas de baisser les bras face au pire, mais de consentir au fait que le pire sera toujours là. Il ne s’agit pas de s’incliner devant l’horreur, mais d’accepter qu’elle revienne indéfiniment. On ne se débarrasse pas de la peste, elle est toujours là, tapie, enfouie, patiente, prête à bondir sur des innocents malgré tous nos efforts. Dire cela, ce n’est pas courber l’échine. C’est, bien au contraire, se donner les moyens de se battre. C’est retrousser ses manches pour accomplir son devoir dans un monde incurable. Quiconque refuse le consentement, quiconque est persuadé de supprimer l’injustice ou les atrocités de ce monde, est plus dangereux encore que les salauds qu’il pourfend.

L'Histoire a-t-elle mis trop de temps à voir l'immense legs de cet auteur ? Un temps longtemps du côté de Sartre ? 

Camus a eu des lecteurs, quand Sartre a eu des commentateurs. Chacun son truc. Tandis que Sartre régnait en Pape sur un cour de bourgeois convaincus d’abolir l’injustice sociale, les livres de Calus faisaient le tour du monde, presque discrètement, et trouvaient chaque jour de nouveaux adorateurs. L’œuvre de Camus est aujourd’hui mondialement connue, et souvent maîtrisée par des gens dont le métier n’est pas d’être philosophes professionnels. Sartre a régné sur des fans à coup de considérations absconces. Camus a étendu aux novices eux-mêmes le champ de l’expertise. C’est la raison pour laquelle Camus est mieux équipé que Sartre pour traverser les siècles.

La peste, L'homme révolté, Le mythe de Sisyphe, La chute, Caligula, L'étranger... Tous ces textes parlent de notre immédiateté. Camus est-il intemporel ? 

Camus sera d’actualité tant que les humains auront à mourir, et naîtront par hasard dans un monde qui s’en fout. Camus prend en main les désarrois les plus profonds, les vertiges les plus radicaux. Il est le compagnon de souffrance et de joie des gens qui assument leur contingence, et la fragilité de l’existence. Camus ne raconte rien qui rassure et qui mente. Mais les joies qu’il donne sont consistantes. Elles s’appuient sur la lucidité, non sur l’illusion. Camus enseigne la difficile science d’être vivant et d’en jouir, ou le métier d’homme, et la capacité d’aimer qui, « en certaines circonstances, nous fait un devoir d’être heureux. »

Et par quelle œuvre faut-il commencer quand on n'en connaît aucune ? 

On peut commencer par le livre de son choix. Mon préféré demeure « Noces », un sublime poème en prose qui contient à l’état nucléaire l’ensemble des questions que remue son œuvre.

Le succès de votre spectacle est net. Y aura-t-il une tournée ? 

Le succès est complet, si j’ose dire. La tournée est prévue de septembre à décembre 2024.

Avec Raphael Enthoven et Bernard Gabay. De Raphael Enthoven. Mise en scène Julie Brochen

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