Maroc : Trois mois après le séisme... une visite tangéroise pour ne pas oublier un pays à l'approche de l’hiver

Par
Yasmina Jaafar
9 décembre 2023

Tanger, Rabat, Salé, Assilah... Joseph Kessel, Matisse et les autres. Reportage photos et un peu d’histoire...

La nuit du 9 septembre restera gravée dans les esprits des marocains. Le pays connait alors un séisme de magnitude Mw = 6,9 à 7,2 selon les instituts scientifiques et intensité maximale VIII. Il s'agit du plus fort tremblement de terre de son histoire récente faisant près de 3 000 morts et plus de 5 000 blessés. L'hiver est là, le froid aussi. Les besoins sont encore grands. Le temps est venu de la reconstruction tant psychique, qu'urbaine. Des villages entiers et des familles entières ont disparu sous les décombres. L’épicentre de la secousse se situait dans la province d’Al-Haouz, à 70 km de Marrakech, dans le sud-ouest de la ville ocre. Les dégâts ont paniqué le pays mais le monde. D’autres villes comme Rabat, Casablanca, Essaouira et Agadir ont pu ressentir les secousses. Jusqu’à Tanger, qui en 1755 avait déjà connu les tremblements perpétrés par le séisme qui avait ravagé la ville portugaise, Lisbonne faisant 10 000 morts.

Des secours et des forces de l'ordre présents à Amizmiz, au Maroc, samedi 9 septembre 2023 REUTERS / © REUTERS

Près de 2 millions de personnes, dont 674 892 enfants*, vivent dans les zones fortement touchées par le tremblement de terre. Les traumatismes sont présents et ravivés depuis celui survenu à Agadir en 1960 (12 000 morts) et en 2004, un séisme de magnitude 6,3 avait secoué la province d’Al Hoceima, à 400 km au nord-est de Rabat (628 morts). Toute une génération a grandi avec les récits familiaux de ces tragédies. Le territoire marocain, on le sait, est installé sur une plaque sismique. L'histoire se répète donc et insistera dans le futur. (Fès, ébranlée par un tremblement de terre en 1624 et en 1522..). Les constructions immobilières fragiles et les habitudes de vie font de ces régions des cimetières vivants. On estime que 50 000 habitations ont été totalement ou partiellement détruites et selon le Ministère de l’Éducation, 530 écoles et 55 internats ont été endommagés*.

La résilience et le courage aouté à la solidarité du peuple marocain ont saisi la planète entière. Le tourisme reprend et Noël approche. La Ruche Média vous propose de découvrir Tanger, une ville aux milles couleurs parfaite pour passer les fêtes.

Tanger, la blanche

Tanger compte 1 365 601 habitants (au recensement de 2015) et est située tout au Nord du Maroc. À 15 km des côtes espagnoles et à la périphérie du massif montagneux du Rif, la ville est tout simplement une destination rêvée. Pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur, il est important de sortir de clichés type ville d’artistes, Matisse, Picasso et autres célébrités qui certes ont fait certains beaux jours de la ville marocaine. Tanger c'est plus que cela. D'ailleurs, elle n'a pas toujours appartenu au Maroc. Un temps portugaise (1471), un temps anglaise (1661), un temps indépendante (1923), un temps espagnole, Tanger, parfaitement placée pousse les puissances mondiales à se battre pour la conquérir. Le sultan Mohammed V accompagné de son fils le futur roi Hassan est dans la ville le 10 avril 1947 pour prononcer le premier discours qui fait état d'un Maroc unifié et indépendant. La fin du protectorat Français, en 1956 et la conférence du mois d'octobre de Fédala, Tanger est en fin rendu au Maroc.

Son histoire, vue ici succinctement, est riche. Elle porte en elle toutes ces rencontres civilisationnelles. Phéniciens, Byzantins, quarte tentatives portugaises, Anglais, Espagnoles, Français... tous ont manœuvré pour conquérir ces côtes qui permettent échanges et commerces et la rencontre de deux eaux. L’océan Atlantique et la mer Méditerranée se rejoignent pour offrir une variété de poissons et de paysages à couper le souffle.

Tanger c'est la Kasbah

Vue du café Hafa, tout au bout de la Kasbah se mérite. Rue Hafa, Tangier, Maroc

Au café Hafa, on prend le thé avec les habitants de la ville loin du bruit touristique, près de la Kasbah. C'est ici, que la ville nait, non loin du Cap Spartel, à l'est de la ville, pour s'étirer tout le long de la baie tangéroise et le Cap Malabata, à l'Est.

Le Cap Spartel

Vue du café Macondo, 13 Rue Ben Abou, Tangier, Maroc

Tanger, c'est le Petit et le Grand Socco

Le petit Socco

C’est en passant par la rue Siaghine et à quelques pas de la porte Bab Fahs, que le petit Socco (ou Souk) se découvre. C’est petit comme son nom l’indique, précieux et envoutant. Un marché local où il est facile de croiser la vie quotidienne des tangérois. Évidemment, les touristes évoluent sur la place et se fondent dans un décor presque fait pour eux. L’endroit, toujours le cœur battant et lieu s’approvisionnent depuis la volonté du sultan Moulay Ismaïl (né vers 1645 à Sijilmassa et mort le 22 mars 1727), est en perpétuel mouvement. Les cafés qui entourent la place servent un thé marocain excellent avec une dose de sucre toujours plus exponentielle. Les boutiques débordent d’artisanat, de nourritures, de vêtements et de décorations... L’ambiance hypnotique a plu à Jean Genet, à Tennessee Williams, à Joseph Kessel, à Truman Capote, à Ian Fleming, - le père de James Bond –, ces artistes qui ont précédé Keith Richards, Patti Smith, BHL, Matisse ou Picasso.

Tanger, Maroc, Afrique du Nord, Vers 1905 (Inv.CP/0057.283)

Installé à la terrasse du Bistrot du Petit Socco, devant un petit déjeuné typiquement marocain, impossible de ne pas se laisser aller à imaginer la vie de ceux, artistes célèbres ou habitants, qui ont jalonné la place avant soi. L’architecture est quasi inchangée malgré les nombreuses transformations de la ville depuis la venue des Portugais – fondateurs des remparts - ou le départ des Anglais.

Le Grand Socco

La place du 9 avril, autre nom du Grand Socco, est accessible en voiture. C’est pratique. Tanger, « le pouls du monde » selon l’écrivain William Burroughs, est assez grand pour y cacher différents centres névralgiques multiculturels. A quelques minutes du Petit Socco, l’ambiance est pourtant absolument différente. Le temps y est suspendu sous ce ciel azur et rien ne vient vous sortir du rêve, même pas le doux vacarme de klaxons de taxis trop pressés, de scooters rapides, de groupes de danses acrobatiques.

Joseph Kessel est l’auteur du roman Au Grand Socco (1952 - Gallimard). Le grand reporter académicien offre un livre sans pareil sur la vie tangéroise, sur les odeurs, les rires, les sons, les lumières qui inondent nos souvenirs une fois la rencontre avec la Belle terminée. 1950, Bachir, un jeune vagabond des rues à la « langue d’or » raconte le parcours de plusieurs destinées. Ces milles et une vie plongent le lecteur dans l’imaginaire Kesselien. Vécu ou non, on retient seulement l’humour, la langue, et le voyage offert à travers les descriptions urbaines et la diversité des cultures. Découvrir Tanger par ce livre, hommage formidable, est un rêve qu’il est nécessaire de concrétiser, surtout pour se créer ses propres souvenirs indélébiles et fondateurs.

Tanger est une merveille, un bonbon sucré, un avocado aux dates, une crêpe aux milles trous, un thé trop sucré, une baie enivrante, un sommet insolent, un sourire à chaque instant croisé, un accueil inédit, une mixité, une complexité…

Une histoire d’amour.

PHOTO : wherewasitshot.com

Bonus

Un petit détour par Assilah, Salé et Rabat

Assilah (en berbère: Arẓila. En arabe: أصيلا ou أزيلا ou أزايلا), c’est des remparts qui touchent l’Océan Atlantique, c’est un port, c’est le festival international culturel annuel "Moussem" né en 1978 où toute l’avant-scène artistique offre quasi gratuitement ce que la culture marocaine porte de meilleur. Ici, elle sort des galeries pour envahir les murs de la ville, aussi cité balnéaire prisée des marocains.

9 heures du matin, Assilah est blanche et bleue. Calme et kidnappante. Les portes des établis qui fabriquent le Souk sont encore closes. Une femme me propose de prendre un petit déjeuner chez elle. La légende selon laquelle l’hospitalité marocaine serait hors du commun est bien plus qu’une fable. C’est vrai. Je décline poliment pour m’installer au seul café ouvert à cette heure. Des olives noires, du pain Kesra, du thé à la menthe (toujours aussi sucré et désormais ma seule addiction), des msemens,  un jus d’orange frais, une bouteille d’eau Sidi Brahim, du miel et deux confitures Aicha sont devant moi le tout pour deux euros. C’est gargantuesque, inattendu et roboratif.

Salé (en arabe : سلا ; en berbère : ⵙⴰⵍⴰ) est au Sud de Assilah. Elle est séparée de Rabat par notamment le pont Hassan II. La petite ville qui a tout d’une grande possède une ancienne médina typique âgée du 11ème siècle fondée par les Ifrénides. La ville relie Fès et Marrackech et devient un centre d’échanges entre l’Europe et le Maroc. Sa position avantageuse permet un fort développement au 12 et 13ème siècle.

Rabat (en arabe : الرباط, ar-Ribāṭ ; en amazighe : ⵕⵕⴱⴰⵟ, Ṛṛbaṭ ; en arabe marocain : الرّباط, er-Rbaṭ) aussi appelée en 1610 « la nouvelle salé » est la capitale politique du Maroc. Mon voyage se bornera au mausolée des Rois. Ville moderne par excellence, Rabat ne cesse pas de se redéfinir par la mixité des monuments historiques et anciens d’envergure et une urbanisation avant-gardiste époustouflante. Elle est la conservatrice des tombes des rois du Maroc. Le mausolée Mohammed-V – bien culturel inscrit sur la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis 2012 - accueille le public gratuitement. Les caveaux du roi Mohammed V (ex-sultan Sidi Mohammed ben Youssef) et de ses fils, le prince Moulay Abdallah et le roi Hassan II y sont préservés. Imaginé par l'architecte vietnamien Eric Vo Toan entre 1961 et 1971, le mausolée est placé sur l'esplanade de la tour Hassan et surplombe l'embouchure du fleuve Bouregreg, ce fleuve qui la sépare de sa ville jumelle, Salé.

C’est de cette esplanade que le sultan fait l’annonce de l’indépendance du Maroc à son peuple dont il a été coupé puisqu'il a dû subir l’exil sur l’ile de Corse d’abord et de Madagarscra ensuite. Mohammed V est vécu comme un véritable Père de la Nation moderne. Son legs est vivant. Ses actes aussi. Il n’a jamais succombé aux lois antisémites vichystes : le Roi a protégé 400 000 juifs marocains lors de la deuxième guerre mondiale.

Rabat est évidemment riche et complexe. Pleine et multiple. Moderne et vivifiante. La ville est un étendard du futur marocain. La technologie, l’économie, les droits sociaux avancent peu à peu. Il y a Tétouan, Chefchaouin, Fès, Ifrane mais Tanger est le coup de cœur laruchemedia.com de cet automne 2023.

Le séisme malheureusement a abimé une part de cette tendance évolutive. Les années gagnées en direction de la modernisation prennent du plomb dans l’aile mais le monde a pu constater la résilience du peuple marocain qui ne se laissera pas fléchir.

A refaire.

Rabat, le mausolée :

Assilah, ville côtière entre Tanger et Rabat :

Salé, Tanger et plus encore.

*(source UNICEF)/ Photos Yasmina Jaafar

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