"Le monde après nous" ou dire non aux idées complotistes : Barack Obama fait du cinéma et... de la politique.

Par
Yasmina Jaafar
16 décembre 2023

Attention: cet article comporte des spoilers !

Le monde après nous avec Julia Roberts, Mahershala Ali et Ethan Hawke est le nouveau film de Sam Esmail, le créateur de «Mr. Robot». Une famille New-yorkaise loue une maison à quelques encablures de la grande ville pour se mettre au vert. Une fois installée dans cette magnifique et luxueuse villa, le propriétaire et sa fille se poste sur le perron en pleine nuit. Les deux familles, les Sandford et les Scott, vont devoir cohabiter et se soutenir lorsque des événements mystérieux s'enchaînent. Tout ressemble à une apocalypse annoncée entrainée par une cyberattaque géante qui affecte tout le territoire. Si les personnages des adolescents sont légèrement caricaturaux, l'ensemble de l'œuvre est absolument réussie.

Elle traite avec intelligence des effets du complotisme et de la désinformation, des États défaillants et de nos habitudes consuméristes outrancières. Le réalisateur rythme son film à la manière d'une série. Les deux heures sont savamment découpées de façon à ce que l'attention ne retombe jamais. Sam Esmail propose des changements de points de vues sans arrêt et impose ainsi un attachement viscéral aux événements qui construisent la narration. La caméra virevolte et nous alpague pour une immersion complète sans jamais offrir de plans gratuits. C'est une écriture pensée et installée sur une bande son souvent inquiétante, parfois nostalgique (un son du groupe Next pour le plus grand plaisir des spécialistes). Voilà pour la forme.

Le fond

"On s'est fait beaucoup d'ennemis dans le monde. Peux-être que certains d'entre eux ont décidé de faire équipe" lance un survivaliste armé jusqu'à la lie et prêt depuis toujours à affronter, du fin fond son bunker, une fin du monde inexorable. Le Couple Obama produit - via leur société de production Higher Ground créée en 2018 et ficelée par un contrat d'exclusivité avec Netflix - une quatrième fiction aux accents éminemment politiques. Après la comédie dramatique Fatherhood (2021), le biopic Worth (2021) sur l'indemnisation des victimes du 11 Septembre, Rustin (2023) sur l'homosexuel noir et militant Bayard Rustin, Le monde après nous sonne comme un pamphlet rectificatif de deux mandats dans lesquels l'ancien président de la République étasunienne n'a pas pu ou voulu agir véritablement. La première force politique du monde aurait pu peser de tout son poids pour œuvrer à un monde meilleur mais que faire quand les intérêts particuliers étatiques l'emportent sur tout le reste ? Que faire quand la cohabitation est permanente ? Que faire quand on est davantage un symbole qu'un homme d'État ? Barack Obama fait donc du cinéma et… de la politique après coup.

Le monde après nous est définitivement mieux que Don't look up : Déni cosmique (2021), qui s'était avéré bavard et prétentieux, alambiqué et caricatural. Ici, le monde prend fin sous les yeux d'humains incapables de comprendre ce qui se passe alors qu'ils possèdent pourtant tous les outils intellectuels. Ils sont victimes de leur peur, de la technologie qui ne répond plus et par laquelle nous sommes tous possédés, de la post-vérité et de la bêtise complotiste. Il ne reste plus qu'à se serrer les coudes pour sortir de ce marasme.

Friends : « I'll Be There for You »

Rosie, la jeune fille Standford est accros à la série Friends. Seulement, les heures qui précèdent l'apocalypse sont teintées d'impossibilités comme celle d'avoir un accès illimité à internet. Wi-Fi HS, elle s'enfuit dans la maison voisine à la recherche des derniers épisodes de sa série fétiche. La fin du film qui fait polémique sur les réseaux, et on a bien du mal à comprendre pourquoi, est magistrale, limpide et habillée du célèbre tube des Rembrandts. La série culte montre un monde qui n'a jamais existé. Une sorte de paradis parfait où l'amitié est reine et les angoisses presque amusantes. En somme, un espoir fantasmé pour une adolescente de 2023 fatiguée par les polarisations, les invectives, et les radicalités des opinions. Fatiguée aussi par une famille autocentrée qui oublie jusqu'à son existence.

Par ailleurs, Sam Esmail propose une fin ouverte ce qui permet, au delà du respect qu'il porte aux téléspectateurs (merci pour cela), de ne pas nous prendre par la main. Cette fin coïncide avec le message profond porté par l'œuvre : agissons par nous-mêmes. Pensons au point de développer un esprit suffisamment critique pour ne pas se laisser absorber par la morosité ambiante, la violence de circonstance, les illusions perdues : "J'ai des clients très intelligents qui ont perdu beaucoup d'argent parce qu'ils ont préféré fonder leur choix sur des croyances préconçues plutôt que sur des vérités. Savoir faire la différence, c’est ce qu'il y a de plus dur".

Le film, adapté du roman Leave the World Behind de Rumaan Alam, a déjà été visionné par 41,7 millions d'abonnés et est placé dans le top 10 mondial des longs-métrages diffusés sur Netflix pour la semaine du 4 au 10 décembre.

Julia Roberts et ses tympans, suppliciés par une sirène infernale dans Le Monde après nous. © Netflix/Higher Ground

Le Monde après nous, de Sam Esmail. JOJO WHILDEN/NETFLIX © Netflix/Higher Ground

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