Magyd Cherfi : "L’écriture est une façon de m’extraire du « joug » maternel"

Par
Yasmina Jaafar
28 février 2024

L'écrivain, chanteur et co-fondateur du mythique groupe Zebda, dont le roman Ma part de gaulois est adapté au cinéma, est de retour avec un livre passionnant. Sur la vie de ma mère ! (Acte Sud) raconte la relation mère/fils de manière inédite. Une mère parfois désirante, souvent abusive mais toujours sacrificielle qui pose une empreinte définitive sur nos vies. Coup de griffe ou coup de tendresse, la figure maternelle, à travers la musique fine de l'écriture de Magyd Cherfi, est mise à l'honneur pour un livre universel.

Rencontre avec un artiste sans langue de bois.

Votre roman parle de la figure maternelle et du sacrifice. L'abnégation totale de votre personnage n'était-elle pas au final un acte d'égoïsme, c'est-à-dire donner jusqu'à en mourir pour ne pas disparaître elle-même ? 

De l’égoïsme peut-être, ce n’est pas impossible mais je ne suis pas sûr que mon personnage ait à ce point calculé son attitude, je parlerais plutôt de peur, la peur de ne pas tenir son rôle de mère, peur de trahir la tribu, l’oumma peut être, peur de trahir les siens ou dieu lui-même. L’abnégation est aussi une façon de prendre le pouvoir sur son conjoint, un pouvoir… Aussi ménager soit-il. Sinon obéir aux injonctions patriarcales n’empêche pas une résistance intérieure. Derrière la mère, il y a toujours une femme qui gigote et qui espère rendre gorge, une femme qui n’en pense pas moins, qui passe à l’acte ou pas mais qui brûle du désir d’être elle-même.

C'est un roman et non une autobiographie. Avez-vous saisi votre inspiration dans les mamans qui ont jalonné votre parcours ? Et tout de même dans la vôtre ?

Bien sûr que j’ai été inspiré par maman et ses frangines, enfant je surprenais des discussions entre elles, en kabyle pour que je ne comprenne pas, mais voilà elles rougissaient c’est donc qu’elles abordaient des interdits, des hontes, des tabous. Je subodorais qu’elles hachaient menu tel ou tel voisin et doutaient de ses capacités viriles au lit. Ça m’excitait terriblement, d’autant qu’aucun de ces voisins ne trouvaient grâce à leurs yeux. On parle de roman car dans le livre je n’ai fait qu’imaginer le passage à l’acte, imaginé que maman tombe amoureuse et s’affranchisse de tous les tabous.

Parolier, auteur, compositeur... les mots ont un sens pour vous. Il y a-t-il une différence entre "mère" et "maman" ? 

« Maman » est beaucoup affectueux que « mère » mais si j’utilise les deux mots c’est en fonction des rapports du moment, quand ils sont apaisés c’est « maman » quand ils sont tendus c’est « la mère ». Et tout le roman est un mouvement entre ces deux humeurs.

Votre acte d'écriture et ce livre fort et universel est-il un passeport pour atteindre votre propre liberté ? Sortir du joug maternel ? 

L’écriture est une façon de m’extraire du « joug » maternel comme il l’est pour tous les « jougs » qui me harcèlent, le premier étant ma propre névrose, je dirais ma propre aliénation, aliénation liée bien sûr à mon milieu d’origine, prolétaire et privé des codes qui vous émancipent ou vous permettent d’appréhender le monde avec distance.

Être français, est-ce une affaire de naissance ou apprentissage ? 

Être français c’est d’abord pour moi adhérer à des valeurs (liberté, égalité, solidarité) entre autres. Être français c’est aussi adhérer à un peuple, une langue, un territoire, choses auxquelles j’ai fini par avoir accès. Être français à mes yeux, c’est se définir comme universel donc multiple. C’est accepter d’être l’autre même si l’autre vous est inconnu, étranger peut être. Être français ce n’est pas parler français, c’est aimer la France à condition que cette France vous étreint au lieu de vous cibler comme une menace, ce qui est le cas pour les noirs et les arabes.

Que ressentez-vous quand une étudiante française de Marseille lit vos mots, lit la langue que vous avez écrite comme ce fut le cas dans l'émission LGL animée par Augustin Trapenard ? (Transmission, votre part de gaulois, légitimité...) 

C’est effectivement une histoire de transmission, quand de jeunes français me lisent j’ai le sentiment de les ouvrir à un monde plus large, d’élargir l’horizon d’un hexagone encore trop refermé sur lui-même, être lu par de jeunes français est pour moi une façon de compléter d’autres sources d’identification, encore une fois d’universaliser la notion de nation, encore trop étriquée à mes yeux. J’écris aussi pour cela, pour dire « il existe d’autres français, des français pas nés en France, des Français de couleur, susceptibles de croire en d’autres dieux... ou pas, des français musulmans et laïques, des français d’autres langues, des français qui ne sont ni blancs, ni hétéros, des françaises couvertes et pas moins citoyennes et fidèles aux valeurs de la république »  etc…

Les rapports humains se tendent autour d'une obsession : l'identité. Quel est votre regard sur ces débats ? 

Pour moi « l’identité » est la source de l’ensemble des bouleversements du monde actuel. Je crois que les peuples sont sidérés devant l’avenir, terrorisés à l’idée de voir disparaître justement ce qu’ils croient être leur identité. Ils oublient que l’identité est un mouvement. Les politiques sont souvent coupables de cette sidération car ils n’ont pas initié les peuples à cette idée.

La vie de ma mère! Acte Sud, 21,50e, 272p

Photo Une : ©Aurélien Ferreira

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