"La cité des hommes" sur ARTE RADIO dès le 8 juillet - Seham Boutata : "Cette série est une déclaration d’amour à leur cité".

Par
Yasmina Jaafar
30 juin 2021

De ses six à vingt-deux ans, Seham Boutata a vécu dans une cité parisienne du 20ème arrondissement, la cité « Paganini », vite raccourcie en « Paga » par ses habitants. Elle décide aujourd'hui de nous faire part de témoignages très forts sur ce qu'est la vie en cité. Une image redorée bien loin des clichés habituels.

D'où est partie l'idée d’enregistrer 13 garçons qui viennent de cité ? 

Initialement l’idée était d’interroger le médecin de la cité. Son cabinet était situé au milieu de celle-ci, construit en même temps que les immeubles en 1985. Il y est resté jusqu’à sa retraite en 2019. C’était notre médecin à tous. Je voulais qu’à travers son regard il nous raconte l’évolution de notre cité. Finalement je me suis vite aperçue, que comme il n’habitait pas la cité, il n’était pas vraiment impliqué dans la vie de celle-ci. Il restait dans son cabinet. Il arrivait le matin et rentrait chez lui le soir après une journée bien remplie. J’ai alors contacté un ami d’enfance, Cédric, qui a tout de suite voulu témoigner de sa vie dans la cité. Pendant 3h il m’a raconté ses aventures et son témoignage m’a convaincu que le vrai sujet c’était lui et sa bande de copains.  

Quel souvenir gardez-vous de la cité Paganini à Paris dans 20ème arrondissement ? 

Je garde de très bons souvenirs de cette époque. De tous les endroits où j’ai habité par la suite et ceux que j’ai fréquenté pendant mes études et ma vie professionnelle, Paganini est le seul lieu où j’ai rencontré des gens venant de tous les milieux, aussi bien social que culturel. Je n’ai jamais retrouvé ça ailleurs. D’ailleurs, au début, je voulais appeler la série « Ma cité Benetton », référence aux affiches melting-pot de l’entreprise de mode. Mais je crois que la nouvelle génération n’aurait pas compris le clin d’œil. Je voulais surtout témoigner de la mixité de ce lieu.

Pourquoi que des garçons interrogés ? 

Parce que quand Cédric m’a raconté son expérience, j’ai réalisé qu’il était resté en contact avec tous nos anciens camarades. Ce qui n’était mon cas avec les filles de la cité. Nous n’avions pas le même vécu. La masculinité du territoire m’a paru beaucoup plus intéressante à raconter. Il me faisait entrer dans leur monde, une façon pour moi de découvrir un aspect de la cité qui m’était inconnu.

Le vécu des filles est-il totalement différent ? 

En tout cas le mien l’était, et pour mes copines de la cité aussi. Je n’avais pas l’autorisation de sortir tard pour rester dehors, et même si ce n’était pas une interdiction formelle, j’en ressentais pas non plus l’envie. La vie des garçons de la cité ne m’attiraient tout simplement pas à cette époque.

Connaissiez-vous tous les témoins qui apparaissent dans votre série documentaire ? 

Oui bien sûr j’ai grandi avec eux. Il y a ceux de ma génération avec lesquels j’ai fait toute ma scolarité du CP au CM2 dans l’école située elle aussi dans notre cité. Et il y a ceux de la génération de mon grand frère, qui a 3 ans de plus que moi. D’ailleurs il est aussi un des témoins de ce documentaire.

Se sont-ils livrés facilement ? 

Oui très facilement, même si pour certains ça faisait près de 20 ans que je ne les avais pas vus. C’est comme une famille d’adoption, même si on ne se voit pas souvent on se connaît, on a grandi ensemble. Ils ont tous accepté spontanément de répondre à mes questions. Ils avaient confiance en moi. Je pense qu’on a tous gardé de cette époque des souvenirs assez tendres. Et encore aujourd’hui, alors qu’ils n’y habitent plus, Ils y restent tous très attachés. Cette série est une déclaration d’amour à leur cité.

Votre objectif était-il de montrer une autre image des "mecs de cité" et prouver que derrière chaque visage il y a une histoire ? 

Seham Boutata, journaliste et productrice de documentaires

Mon objectif n’était pas forcément de montrer une autre image des mecs de cité mais une autre image de la cité en elle-même. Quand j’entends parler des cités dans les médias, je trouve souvent les propos stéréotypés/clichés. Je voulais apporter des nuances. Il n’y a pas que de la misère et de la violence. Il y a aussi de belles valeurs comme la solidarité, l’entraide, l’authenticité et l’amitié… c’est un formidable espace de vie collective.

Comment s'est passée votre rencontre puis la collaboration avec Arte radio ? 

https://www.arteradio.com/flux/suivre

Silvain Gire, cofondateur et responsable éditorial d'Arte radio, m’a soutenue dès le début, et même si j’ai changé de projet en cours de route il m’a fait totalement confiance. Arte Radio a respecté mes choix d’auteure et Samuel Hirsch, le réalisateur, a été très à l’écoute de mes envies artistiques. C’était une belle aventure !

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Cédric Sella ?

Cédric, alias « Timer » (celui qui n’avait pas le temps) ne fait pas partie des premiers habitants de la cité. Il est arrivé deux, trois ans après nous, en 87 ou 88. On était dans la même classe en CM1 et en CM2. Cédric c’est aussi le « babtou » de la cité. Très vite il a réussi à faire sa place. Il est devenu un élément indispensable du groupe. Un personnage central de la cité. Je me rappelle qu’en 2011, quand Maïmouna est décédée à l’âge de 33 ans d’une pneumonie, Cédric a été le premier à répondre à mon appel pour qu’on se réunisse et qu’on constitue une cagnotte pour la famille de notre amie d’enfance. Cédric c'était le gars sur qui tu pouvais compter. Il répondait toujours présent, c'est l’ami fidèle, l'ami de confiance. Sa gouaille, son sourire, son humour, sa générosité nous manquent énormément.  

Cédric SELLA !

Seham Boutata
Autrice du récit littéraire La Mélancolie du maknine (Seuil, 2020), elle produit des documentaires radiophoniques sur France Culture : Mon passé composé d’Algérie, Islam sur le divan, Le chant du chardonneret, Alger rouge et Panthères noires, L’élégance du chardonneret et plusieurs Pieds sur terre.

La Cité des hommes
Une série documentaire de Seham Boutata
Prises de son et montage : Seham Boutata
Réalisation et musique originale : Samuel Hirsch
Illustration : Clément Richard
(France, 2021, 9x10')

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Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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