La jeunesse française et la laïcité : Quand le religieux devient laïc ? Le regard de l’enseignant et théoricien des médias Bertrand Naivin

Par
Bertrand Naivin
24 mars 2021

Les jeunes sont-ils plus ouverts sur la question de la laïcité ?

C'est la question que posait l'émission Europe soir, mercredi 3 mars sur Europe 1. Un sujet des plus sensible alors qu'en octobre dernier, un professeur d'histoire-géographie était décapité en pleine rue, dénoncé par une élève de 4ème pour avoir montré des caricatures de Mahomet dans sa classe, et ce afin d'interroger la liberté d'expression. Une liberté qu'on lui refusa et qui aboutit à l'infamie.

Il serait donc intéressant de s'interroger quels jeunes seraient plus ouverts sur cette laïcité. Et de rappeler que beaucoup d'autres méconnaissent le sens, voire l'existence, de ce mot. Enseignant dans un collège de la région parisienne, cette idée que les jeunes seraient moins fermés sur les questions religieuses me rend donc pour le moins circonspect.

En effet, j'ai pu voir au fil de mes années d'enseignement au cours desquelles j'ai professé dans de nombreux établissements, favorisés comme sensibles, la religion musulmane s'affirmer. Des menus sans porcs – aujourd'hui les repas sans viande – aux autorisations d'absence pendant la fête de l'aïd, des tapis de prière emmenés pour des voyages scolaires aux échanges portant sur leur vécu du ramadan, force est de constater que l'Islam se montre et s'affirme dans nos écoles, jusqu'à devenir dans de nombreux établissements la seule religion dont on parle dans la cour et en classe, les autres étant davantage intériorisées et intimisées. De même entend-on dans les couloirs ou les salles de cours de plus en plus régulièrement les élèves ponctuer leur phrase par des « Au nom de Dieu », invocation à l'autorité divine qui tend à remplacer aujourd'hui « Sur le Coran ».

Quelques raisons...

Sans doute pouvons-nous voir dans cette évolution une désaffection qui a cours depuis la deuxième moitié du siècle dernier pour la religion catholique. Mais une autre raison est, pour beaucoup de jeunes enfants ou enfants d'enfants d'immigrés africains, l'appréhension de l'Islam comme marqueur identitaire et moyen d'affirmer une particularité que la société continue de leur signifier. Vous ne cessez de me renvoyer à mon arabité ? Alors je vais jouer votre jeu en affirmant la religion du pays de mes parents ou grand-parents, l'Islam. De sorte que l'essor que nous pouvons constater pour un radicalisme que certains appellent Islam politique ne serait qu'une tentative de retrouver des racines imaginées et de confronter nos sociétés à leur propre regard différentialiste.

A défaut de pouvoir s'intégrer dans un présent et un avenir français, ils revêtent les oripeaux de leurs aïeux les plus visibles et les plus éloignés de cette culture occidentale dont ils ne se sentent pas les héritiers ni les perpétuateurs, ceux du musulman non modéré. Heureusement, certains établissements s'engagent à montrer à ces jeunes que la religion musulmane n'est pas le seul marqueur identificatoire pour affirmer cette arabité. C'est le cas des sections internationales arabes que proposent certains collèges pour réhabiliter la grandeur de cette civilisation et rappeler que l'arabe n'est pas que la langue du Coran, mais également celle de la poésie et de la science.

Ce n'est donc plus vraiment que les jeunes se sentent plus ouverts sur la question de la laïcité. La religion est plutôt devenue autre chose. Si elle devait auparavant relier (religere) les hommes à Dieu, elle a aujourd'hui pour fonction de relier des individus en manque de repères et de vecteurs de valorisation sociale à une culture imaginée et à la grandeur d'une civilisation fantasmée. Si la religion pouvait donner un sens à l'existence humaine, elle sert aujourd'hui à donner du sens à leur existence individuelle.

Et la laïcité...

Il conviendrait ainsi de revenir sur, non pas la, mais les définitions de la notion de laïcité. Selon le Petit Robert, est laïc ce qui « est indépendant de toute confession religieuse ». C'est la laïcité de l’État et de l'école républicaine, où ce n'est pas l'appartenance à une religion qui est proscrit, mais tout prosélytisme. L'espace public est donc un espace où le religieux est perçu comme individuel et relatif, et non comme collectif et normatif. Raison pour laquelle on ne doit porter ni signe ni vêtement qui montrerait de manière ostentatoire son appartenance à un culte. L'école étant en effet un espace où l'on transmet les valeurs de la République, c'est à dire d'une idée de la société qui repose sur les notions d'égalité, de fraternité et de liberté de pensée comme d'expression, et non pas celles d'une quelconque religion.

Mais, toujours selon le Petit Robert, la notion de laïcité renvoie également à ce qui  « ne fait pas partie du clergé ». En ce sens, n'assiste-t-on pas à une sorte de laïcisation du religieux ? C'est ce que pourrait bien révéler cet Islam devenu plus social que spirituel. Tout comme semble le confirmer la relativisation du credo christique, mais également la diversification des façons de vivre ou d'exprimer leur foi pour les jeunes chrétiens qui peuvent aujourd'hui lire un manga dans lequel les grandes figures bibliques sont devenues autant de héros hyperboliques, suivre Sœur Chelsea Bethany sur Snapchat ou assister à une messe en Réalité Virtuelle sur la plateforme VR Church. De même voit-on de plus en plus de rabbins proposer des forums de discussion sur WhatsApp ou Facebook Live.

Si donc, la question de la laïcité est plus que jamais sensible aujourd'hui pour l’État et l’École, il se pourrait bien que les anciens paradigmes qui la différenciaient autrefois du religieux aient quelque peu évolué. Dés lors, et malgré les initiatives œuvrant pour sensibiliser nos élèves à cette laïcité, de la part des professeurs d'éducation civique mais aussi d'intervenants extérieurs dans le cadre de la semaine de la citoyenneté dans le secondaire, nous voyons les anciennes lignes bouger entre ces deux façons de considérer la vie en société. Autrefois opposées, elles semblent désormais se fondre dans une même quête de donner du sens à un présent de plus en plus privé d'avenir et d'horizon, tant spirituel que politique. Les jeunes ne seraient donc pas plus ouverts sur la question de laïcité. C'est plutôt leur expérience du religieux qui serait devenu plus laïc, pour le meilleur comme pour le pire.

Par Bertrand Naivin, Théoricien des médias. Auteur de "Tous en ligne", Hermann, 2020

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