
À l'heure où la jeunesse marocaine s'exprime, rien de mieux que de lire la biographie du Roi Mohammed V, et ce, à quelques mois de l'anniversaire de l’indépendance du Maroc. La volonté du livre signé Benjamin Badier, historien, est de s'intéresser enfin à ce monarque trop peu connu en France. L’œuvre est fouillée et rappelle ce que le père de la nation a bâti. Un livre inédit et important pour comprendre le Maroc d'aujourd'hui.
Quel homme était Mohammed V ?
Il est assez difficile de savoir qui était Mohammed V si l'on veut réfléchir en termes de psychologie, dans la mesure où la majeure partie des sources que nous avons ne sont pas produites par lui mais d’autres acteurs, dans un cadre politique où la figure du roi, la figure du monarque, l'emporte sur l'individu lui-même. Pour ce qui est de l'homme politique, Mohammed V apparaît comme un homme à la fois déterminé et réservé, avec une certaine timidité politique au sens où que ce soit dans la lutte pour l'indépendance ou après celle-ci, lorsqu'il gouverne véritablement le Maroc, il tâtonne énormément, il hésite, il demande des conseils à ses alliés politiques et ne prend jamais de décision à la hâte. Pour ce qui est de l'homme privé, que l'on peut apercevoir de temps en temps par quelques sources, il semblerait qu’il ait été un bon vivant, rieur, qui apprécie le luxe dans lequel il a grandi et dans lequel il vit. Il a un certain nombre de passions comme l’équitation, la chasse ou les voiture.
Le protectorat est une colonisation. Mais quelle en est exactement la subtilité ?
Le protectorat est bien une forme de colonisation, ce n'est pas une colonie. L’Algérie voisine est un territoire considéré comme pleinement français durant la période coloniale, mais le Maroc n'en est pas moins colonisé par la France entre 1912 et 1956, soit pendant 44 ans. Le protectorat est une forme de colonisation considérée comme plus légère ou plus indirecte qu’une colonie de plein droit comme l'Algérie, dans le sens où les élites et le système politique précolonial sont maintenus par le système colonial, placés sous tutelle. D'une certaine façon, un protectorat est souvent moins durable qu'une colonie, dans la mesure où les Français, au moins théoriquement, y sont moins implantés. Ce que l'on constate à l'échelle de l'Afrique du Nord française est effectivement que les deux protectorats tunisiens et marocains, qui deviennent indépendants en mars 1956, accèdent à l’indépendance avant l'Algérie qui ne l’obtient que six ans plus tard, à l’issue d’une violente guerre.
Qu'est-ce que «l'Aïd Al Istiqlal» ? Et comment Mohammed V a œuvré auprès du parti de l'indépendance ?
Le parti de l'Istiqlal, en arabe, Hizb al-Istiqlal, soit le parti de l'indépendance, est le grand parti nationaliste marocain. Il est fondé en 1943, et il remet aux Français et au sultan au début de l'année suivante le manifeste de l'indépendance. Il est dirigé notamment par des figures comme Allal el-Fassi et Ahmed Balafrej qui sont des figures nationalistes présentes depuis les années 1930 au Maroc. Le sultan s'allie à ce parti après 1944, dans la mesure où il se convertit progressivement à l'idée d'une indépendance du Maroc.
Ce parti devient le principal allié du monarque dans sa lutte pour l'indépendance, même s’il est, à plusieurs reprises, sévèrement réprimé par les Français. Après l'indépendance, les relations entre le monarque et ce parti sont plus tendues dans la mesure où les Marocains peuvent désormais gouverner leur pays. Il faut alors partager à nouveau le pouvoir et le gouvernement, si bien que l'on assiste à un bras de fer entre la monarchie d'un côté et les nationalistes de l'autre. Cela conduit à une scission du parti avec d'un côté le parti de l'Istiqlal, conservateur qui reste un allié du roi et qui fait partie des gouvernements successifs, et de l'autre une formation de gauche menée par Mehdi Ben Barka qui devient le principal opposant à la monarchie à la fin du règne de Mohamed V et au début du règne de Hassan II.
Notre aujourd'hui : Le climat entre la France et le Maroc s'est-il véritablement réchauffé ?
Je connais beaucoup moins le contexte contemporain. Mais oui, après plusieurs années de tensions diplomatiques entre la France et le Maroc, le climat semble s'être réchauffé. La diplomatie marocaine est centrée sur une question, ses revendications sur le territoire que l'on appelle le Sahara occidental, que le Maroc considère comme étant pleinement un territoire marocain. Dans la mesure où la France s'est récemment déclarée comme favorable à ce que l'on appelle le plan d'autonomie proposé par le Maroc pour ce territoire, les relations diplomatiques se sont réchauffées. En contrepartie, cela a conduit à une dégradation des relations avec l'Algérie qui est le principal rival régional du Maroc.
