MARIE DO : "Le fait de ne montrer que des blancs dans un film dont la narration ne l’exige pas est un mensonge, une négation de la réalité."

Par
Yasmina Jaafar
20 mars 2014

Marie Dô est aussi Marie Dominique Aumont, métisse, africaine peule de père et  de mère bretonne et russe. Mais elle est surtout  danseuse, chorégraphe, scénariste, écrivaine,  et la première française à intégrer la compagnie Alin Ailey American Dance Theater de New York à l'âge de dix-neuf ans. Déterminée, directe et engagée sans être dans l’exaltation vaine, cette artiste sensible nous raconte son parcours et ses envies à l'occasion de la diffusion, ce soir sur France Ô, de "Fais danser la poussière".

Rencontre :

Qu’est-ce qui vous a donné envie de danser ?

Un besoin effréné d’amour  et de dépense physique. J’étais une enfant hyper active, hyper sensible, avec beaucoup trop d’énergie qu’il fallait canaliser.

Votre parcours personnel touche à l’universel. Est-ce ce qui a motivé l’écriture de « Fais danser la poussière » ? 

"Fais danser la poussière" est mon premier roman. J’ai mis plusieurs années à l’écrire. J’étais à un carrefour de ma vie, mère depuis peu d’un  petit garçon et d’une fillette lorsque je l’ai commencé. J’ai alors réalisé que je  transmettais à mes enfants non seulement mes gênes et ceux de leur père, mais aussi mon histoire et celle de ma famille, avec ses ombres et ses lumières. La mère que j’étais, qui voulait offrir le meilleur à ses enfants, se heurtait à la petite fille blessée qui sommeillait en moi  sans s’être vraiment regardée. M’inspirer de  mon histoire personnelle m’a permis de  la sublimer, de lui donner du sens, avant de l’offrir aux autres. Chacun est à la recherche de « son qui-suis-je »  tout au long de sa vie, quelle que soit la couleur de sa peau.

Avec plus de 6 millions de téléspectateurs sur France 2 avec l’adaptation de votre premier roman, travaillez-vous à une suite ? Et pour quelle chaîne ?

Cela fait trois ans que je m’y attelle, non sans difficulté. Un premier succès ne garantit de rien ! J’ai abandonné l’idée d’une suite directe de "Fais danser la poussière" pour aborder un autre angle de vue, celui de la demi-sœur blanche de Maya, une histoire adaptée de mon troisième roman "Dancing Rose" sorti en Janvier 2013. Le synopsis est déjà écrit. Il reste à trouver la bonne production qui saura mener le projet à son terme. Télévision ou cinéma, on verra. Je  continue d’y croire. "Fais danser la poussière" n’a pas été facile à monter, les rôles principaux étaient tenus par des noirs, pas de têtes d’affiche chez les acteurs et de la danse à foison, un art peu mis en valeur à la télévision, il a tout de même raflé trois prix dans divers festivals, une presse dithyrambique et une belle audience!  La preuve qu’on peut donner aux spectateurs autre chose que ce qu’on lui sert le plus souvent  par manque de créativité, de courage, d’originalité.

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Votre vie est un combat. D’autres s’effondrent. D’où vous vient cette force ?

Ma force est égale à ma fragilité. Mes amis proches le savent bien. J’ai la joie facile, le désespoir aussi. J’ai probablement acquis dans mon enfance une force de survie qui continue de me servir, mais aussi une vulnérabilité qui me dessert face aux agissements de personnes mal intentionnées. Ma route est chaotique, jalonnée de superbes coups de soleil, celle qu’il me fallait vivre. Quand on cherche à s’éveiller spirituellement, à faire grandir son âme, qu’importe les ornières du moment qu’on avance. Je puise dans l’amour de mes enfants, dans celui de mon compagnon, et dans  la tendresse de mes amis, la force  et la sécurité nécessaires pour ne pas lâcher en chemin, même si c’est dur.

Pensez-vous, aujourd’hui, que ces douleurs vous ont permises de devenir celle que vous êtes ?

C’est mon parcours de vie. J’ai connu des douleurs  comme tout un chacun, mais aussi de grandes joies, sans compter un facteur chance indéniable qui m’a permis de réaliser certains de mes rêves, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

Quel regard portez-vous sur le manque parfois de métissage dans les œuvres audiovisuelles ou cinématographiques en 2014 ?

La France traîne, elle est en retard sur tant de choses ! Il suffit d’ouvrir les yeux sur la nouvelle génération pour voir que ce pays n’a plus le même visage, ni une couleur uniforme depuis longtemps. Le cinéma comme la télévision ne remplissent pas toujours leurs rôles, des outils à double-tranchant qui donnent à rêver, à nous distraire comme ils peuvent nous mentir, nous abrutir et nous manipuler en réfléchissant une société qui n’est pas vraiment la nôtre. Le fait de ne montrer que des blancs dans un film dont la narration ne l’exige pas est un mensonge, une négation de la réalité. C’est une réponse hypocrite aux vieux stéréotypes racistes qui sévissent toujours en France, sans qu’elle l’admette.

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Quels messages voulez-vous laisser aux jeunes générations ?

Définir  quelqu’un à travers sa couleur de peau, son pays, sa langue, même son éducation, est réducteur de qui il est. Les valeurs matérialistes ayant prouvé leur incompétence en matière de bonheur, il est temps de changer notre regard sur le monde, et de nous réconcilier avec lui. L’interaction de la pensée sur la réalité est une évidence. L’hygiène de l’esprit est aussi importante que celle du corps. Il nous faut changer nos pensées, considérer l’autre comme une part de soi et non séparé,  retrouver l’harmonie avec la nature, la connection avec cette terre-mère qui nous porte et nous nourrit. Cette métamorphose est plus que nécessaire. Une responsabilité lourde pour une jeune génération que nous n’avons pas gâtée en lui laissant un monde fracassé par nos erreurs.

Quels sont les combattants qui vous inspirent le plus ?

Le Dalai-Lama. Nelson Mandela. Soeur Emmanuelle.

Danse, cinéma, télévision, écriture. Lequel de ces métiers vous comble le plus ?

J’adore la peinture que je pratique sporadiquement et par  plaisir. Je ne peux pas vivre sans danser. Ecrire m’est indispensable, un espace de liberté extraordinaire. Imaginer une histoire et la voir en images, jouée par des acteurs, est un plaisir profond.  Je découvre le monde du théâtre grâce à mon compagnon,  acteur et metteur en scène. Toutes les formes d’art me parlent et me passionnent.

Préparez-vous un autre livre ?

Oui, je viens de terminer un nouveau manuscrit parlant de la rédemption d’un homme après que son existence ait volé en éclats.

Votre prochain grand défi professionnel ?

Monter le film adapté de "Dancing Rose" avec des personnes fiables. J’ai trop fais confiance à des gens qui ne le méritaient pas.

Yasmina Jaafar

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Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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