Michaël Moreau : A la base, je suis journaliste économique et politique et Raphaël, journaliste culture. On a voulu faire ce livre parce qu'on voyait beaucoup de choses qui changeaient dans l'économie de la culture avec notamment l'arrivée de nouveaux acteurs comme Google, Amazon... Ils posent un certain nombre de questions et de problèmes. Les entreprises aussi, s'intéressent de plus en plus aux industries culturelles. Il fallait revenir aux années 80. A cette période, il y avait déjà différentes choses qui avaient été mises en place comme le financement du cinéma par l'audiovisuel. Ces années étaient fondatrices avec un paradoxe quand même : un gros ministère de la culture donnait beaucoup d'argent alors que l'arrivée de l'industrialisation de la culture à travers la télé faisait rage. La musique, elle aussi, connaissait un formatage sans précédent.
Raphaël Porier : Pour ma part, c'est surtout un moment crucial que de voir que ce modèle là qui a été créé depuis 30 ans arrive en bout de course et est totalement remis en cause par l'arrivée de nouveaux acteurs qui ne respectent plus les frontières. Les acteurs français réclament une concurrence loyale parce qu'ils ont beaucoup plus d'obligations que ceux qui viennent de l'étranger. Tous les gens que nous avons rencontré que ce soit Nonce Paolini (PDG TF1) ou Nicolas de Tarvenost (Président du directoire M6), nous expliquent qu'ils n'en peuvent plus. En finançant "Les Ch'tis", ils ne rentrent pas dans leurs frais ! Ca leur fait perdre de l'argent lors de la diffusion en prime time alors que c'est le plus grand carton de ces dernières années. Il y a donc quelque chose qui ne fonctionne plus. On a voulu comprendre.
MM : C'est vrai. On n'avait pas vu de livre qui racontait les rapports étroits entre le monde politique et celui de la culture ainsi que les bouleversements dans l'économie de la culture aujourd'hui et sur l'industrialisation de la culture en France. Par ailleurs, il y a une nouvelle donne depuis 2012, c'est que la gauche tient les manettes du pays et a bizarrement baissé le budget de la culture ce qui a déçu un certain nombre d'artistes, de directeurs de théâtre... peu habitués à ces traitements.
RP : On s'aperçoit paradoxalement que pour l'instant Nicolas Sarkozy a fait plus pour la culture que François Hollande. La culture étant traditionnellement un pré carré de la Gauche, c'est étonnant. On a le sentiment que le Président Hollande ne souhaite pas brouiller son message premier : tenter de régler les problèmes de sécurité, de chômage et de logement et non aider "les copains" artistes en gonflant plus qu'il ne faut le budget culture. Il semble plus coincé qu'un Sarkozy qui a vite expliqué qu'il n'y connaissait pas grand chose. De ce fait, il s'est occupé de la culture comme d 'autre chose.
MM : Ce qui est sûr, c'est que pour François Hollande, il y a un désintérêt pour la culture. Durant l'enquête, on a découvert que les personnalités qui l'ont approché et soutenu en 2012, ont été frappées par le fait qu'il parlait assez peu de choses culturelles, qu'il disait lire assez peu de livres. Il s'intéresse plus à l'Histoire.
MM : Je crois que c'est surtout un réel désintérêt. Ses priorités ne sont pas là. Alors, c'est sans doute en train de changer car le budget de la culture ne va plus baisser. Il devrait rester stable jusqu'en 2017. Mais les 6% de baisse en 2 ans et demi ne vont pas s'effacer comme ça. Quant à Frédéric Mitterrand, oui, il nous révélé clairement et sans gêne concernant le dossier Orange : "J'étais largué. Je n'y comprenais rien." C'est assez rare de voir un ministre reconnaître publiquement son incompétence dans un domaine.
RP : Ca dépend dans quel secteur mais finalement ça n'a pas été si compliqué. Le plus dur, c'est d'obtenir les premiers. Une fois que nous avons un ou deux noms du choix, les autres veulent répondre surtout s'ils sont attaqués et c'est très souvent le cas.
MM : Le but, évidement, n'était pas de les faire balancer. Mais c'était de "dire" avec une difficulté particulière qui était Aurélie Filippetti. Elle a dit "non" à tout et fermé les portes du ministère. Du coup, on a rencontré beaucoup de gens de son ministère mais... sans son autorisation ! Elle ne voulait pas assumer la baisse du budget de la culture et c'est tout de même Jean-Marc Ayrault, en fonction, qui nous a reçu à Matignon pour nous expliquer ce choix de baisse et, lui, a assumé.
RP : A propos de Mme Filippetti, on note bien qu'être reçu par le Premier Ministre est la preuve qu'elle était mal à l'aise avec la politique menée pour la culture. On comprend aussi qu'elle n'a pas l'oreille du Président et que sa marge de manœuvre était quasi inexistante. Tout dépend du poids politique du ministre en fait. Souvent ce sont des personnes entendues dans leur parti. Jack Lang, lui, avait l'écoute du Président Mitterrand et du parti. Ca n'a rien à voir avec Aurélie Flippetti. Elle a perdu l'arbitrage et n'a pas su se faire entendre.
MM : Oui, les artistes se sentent mis de côté parce qu'ils n'avaient plus accès à la Ministre alors qu'elle était toute disponible pendant la campagne. Par exemple Charles Berling, acteur mais aussi directeur de théâtre à Toulon, nous dit, agacé, qu'il n'arrivait plus à parler à sa ministre de tutelle. Puis, le ministère est ostracisé par le gouvernement lui-même qui ne lui accorde qu'un budget très léger et un regard minime. Il ne donne pas de cap pour Hadopi par exemple. On ne sait toujours pas ce que va devenir Hadopi deux ans et demi après l'arrivée de François Hollande, alors que c'est un dossier culturel emblématique de ces dernières années avec des positions très tranchées.
RP : On sent que ce qui a été créé sous le sceau de Sarkozy ne peut être continué. La position est délicate parce que l'abroger pousserait toutes les personnalités de la culture à se rebeller.
MM : Pas forcement, elle n'a pas de poids politique. Mais elle connaît mieux que beaucoup de politiques les dossiers liés au numérique. Ils ont mis trop de temps à prendre en compte ces affaires là. Puis, Manuel Valls dit qu'il veut stopper le baisse du budget. Elle va pouvoir bénéficier de ce virage.
RP : C'est ce qu'a dit François Hollande en arrivant au pouvoir. C'est ce qu'a aussi dit JM Ayrault... "La culture, c'est important" et dans les faits, ça ne s'est absolument pas traduit. Donc, quand on a entendu Manuel Valls dire , et je précise, en plein conflit des intermittents, "la culture, c'est la vie", j'ai eu l'impression d'entendre une pub pour une eau minérale. Mais non, c'était vrai.
MM : Dans le livre, on parle de ce terme parce qu'on voulait revenir sur ce que ça voulait dire dans les années 90. C'était plus une manière de se protéger, nous acteurs culturels européens, des américains. A cette époque, la France était tête de proue dans ce secteur là. Des grands artistes du 7ème Art comme Gérard Depardieu avaient fait le déplacement jusqu'à Bruxelles, pour défendre cette idée. Aujourd'hui, c'est moins le cas.
RP : Ca toujours été présenté sous cet angle parce qu'être franco-français, ça déplaisait en interne, en Europe, à beaucoup de gens venant du libéralisme total, les anglo-saxons notamment. Mais l'idée était tout de même de mettre en avant le Cinéma qu'il soit roumain ou d'autres œuvres nationales. Puis, avant, en 1990, le méchant c'était Hollywood. Aujourd'hui, le méchant c'est Google et consorts. Des outils du quotidien qui nous appartiennent à tous. Donc en voulant les limiter, le public a le sentiment qu'on touche à leurs libertés. C'est totalement différent. Le combat s'est retourné.
RP : Dès le début, j'ai voulu que chaque entretien soit filmé mais on s'est vite aperçu que la caméra faisait taire les gens. La parole est moins libre. Cela dit, si le livre marche bien, on envisagera peut-être la chose. Si des producteurs nous lisent...
MM : Electoralement, ça n'est pas un sujet très porteur comme le chômage ou la sécurité. Malheureusement, il n'y a un intérêt que sur le long terme seulement.
RP : La grande crainte des hommes politiques que nous a exprimé JM Ayrault est le pouvoir des géants du net. Les Facebook, Apple qui petit à petit vont devenir plus puissants que les Etats. Ils les ridiculisent en jouant avec les fiscalités. La puissance du politique risque de se voir égratignée. Comment les empêcher de s'accaparer la culture ?
RP : La différence fondamentale entre son travail et le nôtre c'est que, lui, tente d'imposer une thèse personnelle. Nous, nous avons rencontré les acteurs de toute la culture française pour que le lecteur se fasse son avis. On peut le prendre par la main de temps en temps mais le but du jeu est de rien imposer ni d'être un virus. Le contexte et l'Histoire de l'économie au lieu de l'idéologie.
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Yasmina Jaafar