« La République, c’est moi ! » Dans une vidéo récemment diffusée dans l’émission de Yann Barthès sur LCI, le chef charismatique du mouvement « La France Insoumise » s’est ainsi auto-proclamé incarnation de la République, alors qu’il tentait de rentrer de force dans les locaux de son mouvement, réquisitionné par la police judiciaire pour une perquisition portant sur de possibles irrégularités dans ses comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2017. Les téléspectateurs et internautes purent ainsi être choqués par la violence et l’incivilité avec laquelle l’ancien candidat à l’Elysée tentait de forcer l’accès à cette porte devant laquelle était pourtant posté un policier, et tout en l’invectivant, tentait de la faire céder, comme un forcené appelant tous ses « camarades » à l’aider. Mais quelle République est-il ? La Cinquième dans laquelle nous sommes encore, ou la Sixième qu’il appelle de ses vœux mais n’est pas encore instituée ? Si c’est le cas, nous aurions le droit de craindre un nouveau régime servant un culte du chef digne des Duce, Führer et autres Petits Père du peuple que put connaître le XXème siècle.
Toutefois ce qui retiendra surtout ici notre attention fut cette tirade incroyable parce qu’improbable face à des gardiens de la « paix » pourtant en train de faire simplement leur travail, lancée pour les dissuader de le « toucher » : « Ma personne est sacrée, je suis parlementaire ! ».
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Or, c’est bien méconnaitre ce qu’est justement la « république » que de prétendre à une sacralité de son propre corps. La notion de carnation sacrée parce qu’incarnation du pouvoir renvoie en effet à la monarchie française dans laquelle le roi était le représentant du droit divin sur terre. Une divinisation du corporel et de l’individu qui sera remise en question à la Révolution française. C’est donc en monarque du XXIème siècle que se pose ici Jean-Luc Mélenchon. Prétention pour le moins étonnante pour un homme qui se veut porte parole des plus démunis et d’une France insoumise, se ralliant plus volontiers à l’aile gauche de l’échiquier politique qu’à une droite monarchiste. Bien plus, cette sacralité du corps d’un chef est aux antipodes de ce qu’est la « république ». Affirmer dans une même journée être la république et revendiquer la sacralité de son corps du fait d’être parlementaire relève ainsi davantage de l’oxymore que de l’esprit républicain. C’est en tout cas ce que semble nous enseigner l’étymologie même du terme « république ». Provenant du latin res publicca, littéralement bien ou fait public. C’est donc par définition à la notion de partage et de communauté que renvoie celle de république, et non à celle d’un corps intouchable. Bien plus, dans une société marquée par la culture christique, le corps républicain serait un corps à donner en partage, comme celui du Christ que les fidèles consomment en communion chaque dimanche à la messe.
Le chef de file de la FI aurait donc dû proposer à ces policiers d’arracher et de manger son corps pour l’exemple, ce qui aurait fait de lui un véritable martyre et une « chose publique » donnée en pâture au soi-disant complot d’un seul, ce jupitérien Emmanuel Macron. Cette proposition aurait donné une dimension mythique à ce duel entre un aigle zeussien et un néo-Christ. Cela aurait été une belle occasion pour Mélenchon de ravir un peu d’olympisme à ce fils de Cronos responsable de sa déroute politique. Lui qui s’était offert en partage digital lors d’un meeting d’un nouveau genre sous la forme d’un corps holographique aurait pu ici matérialiser ce qui paraît être chez lui une velléité christique. Mais il n’en fut rien. Bien au contraire, nous avons eu affaire à une obsession de préserver ce corps de tout contact, relayée par ses partisans, à l’instar de son bras droit Alexis Corbières, devenu l’espace d’une vidéo le défenseur farouche du corps de ses « insoumis ». Pour seule communion il n’y aura eu qu’un live Facebook, confirmant la foi quasi mystique de l’ancien candidat à l’élection présidentielle pour le Numérique.
Mais revenons de ces considérations anthropophagiques. La dimension publique de ce corps ne peut être compatible avec ces désirs d’un corps sacré qu’il est interdit de toucher. Le « républicain » est en effet cet homme voué au bien publique, à la bonne organisation de la société et de l’Etat, mu par un esprit « politique » au sens de voué à la polis, à la Cité. C’est ainsi que dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie paru pour la première fois sous la forme de fasicules dans le Bulletin de la Société française de philosophie de 1902 à 1923, André Lalande pose cette république comme s’opposant à l’esprit monarchique. Jean-Luc Mélenchon devrait donc revoir ses classiques afin de, non plus vouloir « être » la république, mais bien plutôt la « servir ». La république n’est personne, elle est tout le monde, et c’est ce qui fait et fera toujours sa force.
Bertrand Naivin