Inceste : quand les outils culturels et médiatiques accélèrent la libération de la parole autour d’un tabou

Par
Lisa Omara
17 mars 2021

Alors que la parole se libère de plus en plus autour de l’inceste, France 5 a rediffusé le 9 mars dernier un documentaire intitulé « Inceste : que justice soit faite ». Suivi par 673 000 téléspectateurs (soit 2,8 % du public), ce reportage revient sur les témoignages de 4 victimes d’inceste (adultes et enfants) et suit leurs long parcours du combattant pour obtenir justice. Au même moment, hier, le 11 mars 2021, s’est tenue la nouvelle commission sur l’inceste et les violences sexuelles sur mineurs. Face à la loi du silence qui règne autour de crime familial, La Ruche Média fait le point sur les outils culturels et médiatiques tels que les livres, podcasts et réseaux sociaux et explique comment ils ont accéléré la libération de la parole autour de ce fléau qu’est l’inceste.

Eva Thomas, première victime à avoir brisé le tabou ancestral qui régnait autour de l’inceste.

Le 2 septembre 1986 Eva Thomas a 44 ans. Elle est invitée sur l’émission “Les Dossiers de l'écran” diffusée tous les premiers mardi du mois sur Antenne 2. Ce soir là, Eva Thomas ne réalise pas encore qu’elle va entrer dans l’histoire, et pour cause, grâce à son témoignage, elle devient la première femme à parler de l’inceste à visage découvert en direct à télévision française. Face à des journalistes, un psychanalyste, un psychiatre, un juge et une avocate, elle raconte qu’elle a été violée par son père à l’âge de 15 ans. Elle ouvre alors le débat houleux sur l’inceste avant de disparaître de la sphère médiatique quelques années plus tard. S’en suit un silence total dans les années 90-2000 jusqu’aux affaires Dutroux et D'outreau qui vont remettre sur le devant de la scène l’inceste et le tabou qui règle autour de ce crime familial. Mais ce n’est qu’en janvier 2021 que le sujet de l’inceste explose et revient au cœur des débats médiatiques avec l’affaire de la “Familia Grande” révélée par Camille Kouchner dans son livre du même nom.

 La Familia Grande de Camille Kouchner : de l’onde de choc à la libération de la parole sur les réseaux sociaux via le hashtag #MeTooInceste

Dans son premier ouvrage, Camille Kouchner, avocate de 45 ans et fille de Bernard Kouchner, révèle l'inceste qu'aurait fait subir son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, à son frère jumeau renommé “Victor”.

Dans son récit, Camille Kouchner part de l’intime pour un fait de société encore trop tabou. A travers son témoignage, elle montre que l’inceste est un fléau qui peut toucher toutes les classes sociales. Dans la Familia Grande, Camille Kouchner évoque plusieurs phénomènes qui entourent l’inceste à commencer par le silence. Ce silence lourd et pesant, porté à la fois par les victimes mais également par leurs proches. De ce silence, découle la honte et la peur des victimes, des sentiments que Camille Kouchner décrit de manière très fine tout au long de son récit.

Au-delà du séisme provoqué au sein des classes politiques, médiatiques et de la société, Camille Kouchner a rouvert la voix sur un sujet resté trop longtemps tabou et a permis aux victimes de témoigner à leur tour. Et c’est à travers le hashtag #MeTooInceste sur Twitter que des milliers de personnes ont trouvé le courage de dénoncer les agressions sexuelles subies dans leur enfance ou adolescence dans la sphère familiale.

Virginie, 28 ans, déclarait sous ce hashtag “Petite, je pensais que mon père était triste à cause de ma mère. C’est pour ça que la nuit il venait dormir avec moi et me demandait de lui faire… Je détestais ma mère pour ça. J’ai compris plus tard qu’elle savait et que ça l’arrangeait #MeTooInceste “

Ce témoignage reflète une double réalité universelle : l’horreur de ce crime familial vécue par la victime dans son enfance et la complicité des proches qui sont très souvent au courant mais qui préfèrent se taire. Le livre de Camille Kouchner a déclenché cette prise de parole collective sur les réseaux sociaux, a contribué fortement à faire évoluer le regard porté sur l’inceste au sein de la société.

Les podcasts sur l’inceste : de l’intime à l’universel

Si les témoignages sur l’inceste se multiplient de plus en plus, les podcasts ont également participé à l’évolution le regard porté sur l’inceste et ont aidé les victimes à prendre la parole à leur tour.

Septembre 2020, Charlotte Pudlowski, co-fondatrice du studio de podcasts Louie Média, sort le podcast “Ou peut être une nuit”. Dans cette enquête très longue et très documentée en 6 épisodes, elle revient sur l’histoire de sa mère, victime d’inceste et qui s’est muée dans le silence pendant de longues années. A partir de l’histoire de sa mère comme point de départ, Charlotte Pudlowski part à la rencontre de victimes, d’experts, de chercheurs et tente de comprendre d’où vient le silence qui règne autour de l’inceste. En partant de l’intime pour évoquer un fléau universel, le podcast permet une prise de conscience sur ce drame qui touchent des milliers de familles en France.

D’autres podcasts évoquent ce fléau comme “Inceste et pédocriminalité : la loi du silence”. Diffusé sur Un podcast à soi, Charlotte Bienaimé revient sur l’ampleur du phénomène de l’inceste avec des chiffres précis et des faits relatés.

Micro podcats

Le pouvoir de l’audio, la proximité grâce à la voix permettent au podcast d’être un outil médiatique encore plus fort, voire plus puissant qui aident les victimes à se sentir moins seules et les encouragent à parler à leur tour.

L’inceste en quelques chiffres 

Le reportage de France 5 nous a rappelé que l’inceste est un phénomène ancestral, anthropologique, qui peut concerner toutes les classes sociales, tous les milieux, et toutes les origines. A la suite du documentaire, Isabelle Aubry, présidente de l’association “Face à l’inceste”, était invitée sur le plateau de l’émission “Le Monde en Face” et a livré les derniers chiffres clés sur l’inceste - sondage Ipsos mené pour l’association “Face à l’inceste” (novembre 2020) :

  • 10% des français révèlent avoir été victimes d’inceste (soit 2 à 3 enfants par classe)
  • 32% des français disent connaître une victime d’inceste
  • Les victimes seraient à 78% des femmes et à 22% des hommes

Au-delà de ces chiffres, Isabelle Aubry a indiqué néanmoins que l’inceste était un crime très difficile à mesurer car l’essentiel des cas échappent à la justice. Les experts présents sur ce plateau ont également rappelé qu'après que les victimes aient déposé plaintes, plus de 70% des affaires sont classées sans suite par la justice et sur les 30% restant, seulement 1% des cas aboutissent à la condamnation des violeurs en Cour d’Assise.

Le livre de Camille Kouchner, le hashtag #MeTooInceste, les podcasts, permettent de montrer qu’on assiste à une évolution des mentalités et du traitement médiatique qui amènent enfin une sortie du déni de la société face à l’inceste. Espérons désormais que la libération de la parole dans la sphère des médias pourra faire évoluer le droit pour apporter plus de garanties et de protection aux victimes.

Pour l’heure, le journal La Croix a publié hier les premières pages d’une grande enquête qui sera diffusée sur plusieurs jours intitulée “Inceste, vaincre le silence” et qui reviendra sur ce crime familial à travers le silence, l’écoute des victimes mais aussi de l’entourage.

Par Lisa Omara - Journaliste spécialiste communication, podcast et nouveaux médias.

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