VIOLENCES POLICIÈRES : LA TONALITÉ POLITIQUE CHANGE. ÉDITO DU SÉMIOLOGUE JEAN-MAXENCE GRANIER

Par
Jean-Maxence Granier
14 janvier 2020

Les policiers et les gendarmes ne sont ni des héros, mais certains peuvent le devenir comme le colonel Beltrame et bien d’autres de ses collègues, ni d’horribles nervis au service d’un pouvoir obscur, même si quelques fois ils peuvent en donner l’impression.

Ils nous protègent, prennent des risques et ont droit à ce titre à notre respect. On a aimé les saluer quand le pays a été confronté au pire. Pourtant la succession de violences liées au maintien de l’ordre face aux manifestations des gilets jaunes ou des syndicats pose question.  On connaît la définition weberienne du monopole de la violence (« monopol legitimer physischer Gewaltsamkeit »). On a quelquefois l’impression que l’adjectif « légitime » est oublié dans cette définition de l’État. Pour continuer à être légitime, l’État doit faire de l’usage de la force un exercice d’équilibre et de proportionnalité où il ne s’agit jamais de punir, c’est le rôle de la justice, mais de maitriser ou de contenir.  

De fait, une police authentiquement républicaine se doit de au moins de viser (sans jeu de mots) une forme d’irréprochabilité dans ses modes d’intervention. Préparée pour cela, armée, elle ne peut se construire dans la simple altérité face à « un autre camp » qui ne serait celui de la République, car même quand elle charge, elle reste au service de tous, y compris de ceux qui sont en face. C’est vrai que le nouveau quinquennat avait mal commencé avec l’affaire Benalla où un vrai membre du cabinet présidentiel jouait au faux policier en matraquant sans ordre. Les choses ont empiré avec la grande peur inspirée à l’État par les Gilets Jaunes, le durcissement des affrontements qui s’en est suivi et les armes dites non létales (LBD, grenade), mais fort dangereuses qui ont emporté plus d’un œil ou plus d’une main. Le préfet Grimaud en 68 le disait dans une lettre restée célèbre et qui devrait être lue dans tous les fourgons avant une manifestation : « Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. ».

Une démocratie se juge aussi là, à son respect des droits publics, y compris quand ça chauffe.  Il y a bien longtemps je me suis retrouvé à tenter de secourir un jeune homme rue Monsieur Le Prince. Il s’appelait Malik Oussekine et il était en train de succomber aux coups d’une police qui se déchainait dans les rues de Paris à moto, frappant indistinctement et sans mesure. On dirait que le pouvoir en la matière n’a rien oublié et n’a rien appris. La défense par trop systématique d’actes qui paraissent visiblement hors de clous,  finit par créer un climat de laisser-faire et d’impunité délétère. Car les vrais responsables ne sont pas ces hommes derrière leur bouclier qui endiguent les colères sociales en première ligne, mais leurs chefs qui les équipent, les forment et les commandent, souvent mal. La mort toute récente d’un livreur parisien, père de 5 enfants, nommé Cédric Chouviat,  au cours d’un contrôle routier de routine, mort provoquée par l’utilisation de méthode d’immobilisation connue pour leur dangerosité, renforce encore cette suspicion entre les forces de l’ordre et les citoyens. On risquera bientôt, comme le font déjà les Afro-Américains aux États-Unis, de ne plus descendre de sa voiture et de filmer l’intégralité des échanges avec les forces de police de peur de risquer le pire pour une bavure.  

Vouloir à tout prix conserver le placage ventral, le LBD ou la grenade de désencerclement, c’est pousser les forces de l’ordre en direction d’une surenchère qui risquent de les couper de la population, c’est rompre avec cette légitimité forcément attachée à la proportionnalité et à la mesure, c’est faire policier ou du gendarme non plus une force qui s’oppose, mais un ennemi qui vous détruit. Dans une démocratie, nous ne devrions pas avoir peur d’aller manifester, d’aller faire entendre notre voix et ce n’est plus le cas. Nous devrions craindre l’amende ou la sanction, mais non pas le contrôle, ce n’est plus le cas. Trois hommes en tenue assis le dos d’une personne casquée : il ne faut pas être spécialiste en anatomie pour comprendre que c’est risqué. Les tirs tendus, les croche-pattes, les bastonnades sur des gens à terre, l’usage du LBD au visage et à bout portant, les grenades de désencerclement utilisées systématiquement,  tout cela ternit l’image d’une police pourtant plus que nécessaire dans l’espace public.

Le ministre Castaner, par un mélange de pusillanimité et d’entêtement, et par manque de compétence dans cet univers qui appelle rigueur, éthique et maitrise de soi, ajoute encore au sentiment de libre-cours par l’incohérence voire l’irresponsabilité de ses propos qui relève en général du déni. Il faut que la liste s’allonge des estropiés à vie et que les images parlement d’elles-mêmes pour arracher au premier flic de France un maigre aveu.  Ce sont en effet les chefs, ministres, préfets, directeurs, qui donnent le ton, qui laissent entendre ce qui est acceptable ou pas et visiblement en ce moment ils ne sont pas clairs. La police républicaine n’est pas seulement là pour faire respecter la loi (« law enforcment » disent les américains), elle est là aussi pour maintenir l’ordre au sein de la communauté nationale et non pas pour engendrer plus de désordre.  Si la police commence à faire peur aux citoyens, c’est l’équilibre démocratique entre la liberté et la loi qui vacille. Tous ceux qui sont passés devant les policiers écrasant un homme qui se débattait et suffoquait ont été choqués, ont filmé la scène et ne sont pas intervenus. En cela ils ont été de bons citoyens puisque c’était des policiers, les nôtres, qui agissaient.   Pourtant cette violence a posteriori paraît d’autant plus  excessive qu’elle se pare d’une légitimité qu’elle va finir par ne plus mériter.

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