Laurent Wauquiez est-il un monstre ? Si l’on en juge par la versatilité dont il fait preuve depuis ses débuts en politique - alors dans le sillage du centriste Jacques Barrot - et la duplicité qui fut la sienne lors du cours qu’il donna tout récemment aux étudiants de l’école de Management de Lyon (EM Lyon), il semble que oui. Car qu’est-ce qu’un monstre sinon cet être hybride et multiple. Du Quetzalcóatl au Typhon, du Léviathan à la Chimère, du Sphinx au griffon ou de Méduse au loup-garou, nous retrouvons en effet dans de nombreux monstres cette idée d’une nature instable, qui allie en un seul corps plusieurs espèces ou entités différentes, voire contradictoires.
Cette monstruosité est devenue aujourd’hui nôtre avec les réseaux sociaux. Qu’on songe en effet à ce double Marcelin Deschamps sous le nom duquel Mehdi Meklat publia sur Twitter des propos homophobes et antisémites abjectes, et que l’écrivain et chroniqueur de France Inter et du Bondy Blog présenta comme un double maléfique qui avait fini par lui échapper. Qu’on songe également plus récemment à cette jeune candidate de The Voice, Mennel, qui après avoir incarné une sorte de madone contemporaine, la tête ceinte d’un bandeau et chantant Allelujah de Léonard Cohen, dut quitter l’émission après que des tweets – là encore – complotistes furent exhumés, postés à la suite de l’Attentat de Nice en 2016.
Les réseaux sociaux, par cette capacité qu’ils nous offrent d’exprimer instantanément toutes nos pensées, toutes nos humeurs et nos coups de gueule et par la possibilité qui est la nôtre de s’y créer son propre personnage – numérique par l’utilisation de l’avatar ou identitaire – encouragent alors cette duplicité qui n’est ainsi plus monstrueuse mais est devenue « normale », voire salutaire en nous permettant d’ « assumer » jusqu’aux aspects les plus inavouables de notre personnalité, réduite en cela à cette persona, ce masque que portaient les comédiens de la Grèce antique.
Assumer, c’est ce que fait Laurent Wauquiez depuis la polémique que firent ses « confidences » aux étudiants lyonnais. Lui qui voulut s’y présenter le plus naturel possible en leur gratifiant d’un discours vrai et sincère, loin des « bullshits » qu’il dit réserver aux plateaux de télévision après leur avoir demandé… de ne pas filmer ce qu’il allait leur confier. Une demande qui ne fut évidemment pas respectée, tant nous sommes aujourd’hui dans une obsession de tout filmer, archiver et partager. Mais comment un homme politique tel que lui a-t-il d’ailleurs pu imaginer contenir cet autre monstre 2.0 avide d’images et de posts. À moins que cette demande n’ait été feinte, duplice elle aussi. Il rejoindrait alors François Hollande qui en se « confiant » à des journalistes produisit ce que le philosophe Raphaël Enthoven qualifia sur Europe 1 de « bavardage public » (chroniques rassemblées dans Morales provisoire, éd. L’Observatoire, 2018). Ou comment feindre la confidence, alors que l’on sait très bien que ce que l’on dit sera répété et rendu public. Dans le cas de l’ancien président « normal » de la République, ces indiscrétions furent publiées dans un livre – Un président ne devrait pas dire ça de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, paru aux éditions Stock en octobre 2016. Laurent Wauquiez a laissé quant à lui les Smartphones de son auditoire reléguer ce double langage qui fait écho à cette extimité par laquelle le psychanalyste Serge Tisseron décrit cet éthos 2.0 produit par les réseaux sociaux, à savoir une indistinction entre sphère privée et sphère publique où ce qui était autrefois intime se poste désormais sur son mur Facebook ou son compte Instagram.
Une chimère assurément, cette créature bicéphale, doublant sa gueule de lion d’une tête de chèvre. Le nouveau président des LR, après avoir multiplié les transformations et les « sensibilités » politiques, allant du centre jusqu’à une droite « assumée », quitte à faire parfois siens certains thèmes du Front National, revendique ses deux visages que d’aucuns pourraient trouver contradictoires. Tour à tour affable et dissimulateur, populaire et hautain, doux et agressif, ami et ennemi en accusant Nicolas Sarkozy d’avoir mis sur écoute ses ministres de l’époque… avant de s’excuser auprès de l’ancien chef de l’État, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes multiplie en effet depuis son annexion à la tête des Républicains les ambivalences.
Si toute société a dès lors créé ses propres monstres, le monstre 2.0 que Laurent Wauquiez figure sur le plan politique se révèle quant à lui être celui d’une duplicité transparente, assumée et revendiquée. Une monstruosité qui revendique le paradoxe et l’ambivalence et révèle une identité qu’à la suite de Zygmunt Bauman nous pouvons qualifier de « liquide » en ce qu’elle ne cesse de glisser tout en laissant voir d’un extrême à l’autre.
L’an dernier, en pleine campagne électorale, Jean-Luc Mélenchon donnait le premier meeting holographique de l’histoire. Aujourd’hui Laurent Wauquiez « incarne » à son tour et à sa manière l’homme politique 2.0 : une image instable, duplice et transparente… au risque d’en devenir « virtuelle », c’est à dire n’existant qu’à l’état de potentialités, mais sans réelle actualisation ni manifestation.